Faire démocratie… Mais quelle démocratie ?

Photo Laure Bonnevie

Lettre de la Fédération n°26 – Décembre 2021

Le 18 novembre dernier, la FCLR clôturait son année jubilaire par l’organisation d’un Forum intitulé «Faire Démocratie ! Coopération entre acteurs politiques et associatifs : point de situation et enjeux pour l’avenir». En ouverture, Hervé Pichelin, directeur de la Maison internationale des associations de Genève qui accueillait l’évènement, relevait «le difficile équilibre entre l’autonomie d’une émanation de la société civile et les pouvoirs politiques qui subventionnent et veulent avoir leur mot à dire». «Cette tension», ajoutait-il, «il faut la penser et l’intégrer tout le temps dans nos relations avec les pouvoirs publics», rappelant au passage que l’action des associations est toujours d’intérêt public. Dans l’animation socioculturelle genevoise, le projet de transfert de charges entre canton et communes vient bousculer les lignes déjà fragilisées des relations entre autorités et associations de centres. Nous avons voulu mettre en perspective les débats de la soirée en recueillant les impressions de cinq personnes y ayant participé : Nathalie Leuenberger (Conseillère administrative de la Ville de Meyrin et membre du Conseil de fondation de la FASe), Kaya Pawlowska (membre du comité de Pop Démocratie et du Collectif Grève féministe, et panéliste de la soirée), Boris Calame (député au Grand Conseil, ancien représentant des associations à l’Assemblée constituante genevoise et ancien membre et président de la maison de quartier de Champel), Pierre Varcher (membre du comité de la maison de quartier de Saint-Jean) et Vital Dorsaz (animateur socioculturel à la maison de quartier Sous l’Etoile)

Installée au fond de la salle où elle s’affairait à mettre en place le buffet quelques minutes encore avant le début du Forum, Maria s’est tranquillement levée pour demander la parole alors que débat se portait sur la question des compétences des bénévoles. S’emparant du micro, cette Péruvienne vivant à Genève depuis 30 ans raconte alors son engagement bénévole «partout, mais notamment à la maison de quartier  de Plainpalais». Ce qu’elle dit, c’est combien cet engagement à la maison de quartier lui a permis de s’intégrer : «J’ai trouvé un accueil incroyable, j’ai pu participer à plein d’évènements et ça m’a permis de découvrir une passion pour la cuisine (je suis cuisinière maintenant, avant j’étais infirmière)… A la maison de quartier, j’ai aidé pour tous les évènements. Quelques années après, je suis devenue membre du comité. J’ai vu le souci que ça représentait, c’est un chemin très fort !». «J’ai eu beaucoup de plaisir à être au comité… il faut donner sa place à chaque bénévole», a-t-elle conclu.

L’associatif, liant social vivifiant

Le témoignage de Maria a non seulement marqué les esprits par sa force de conviction, mais il est aussi venu donner corps à la conférence inaugurale de Monica Battaglini, professeure à la Haute école de travail social (HETS) de Genève, qui s’est attachée à présenter le rôle des associations dans le jeu démocratique et l’importance d’un réseau associatif «performant» dans une société. Car, outre le rôle d’intégration sociale, de structuration et de régulation des relations entre les personnes, les associations permettent aux institutions politiques, et donc à la société, de mieux fonctionner. Et, explique-t-elle, «les gens qui font l’expérience de l’associatif font l’expérience du système politique» : en pratiquant la décision démocratique au plus près de son quotidien, on se rapproche du fonctionnement des institutions.

Faisant le lien entre la société et l’État, les associations permettent aussi aux citoyennes et citoyens «de rentrer plus facilement en contact avec les autorités». Fluidifiant les liens, elles renforcent la confiance de part et d’autre. Et puis, en s’engageant dans les associations, on acquiert des compétences, notamment relationnelles et de savoir-être, qu’on réinjecte dans le monde économique.

Monica Battaglini a également insisté sur la complémentarité du travail associatif dans les politiques publiques : même si elles manquent de ressources, elles agissent plus vite que l’administration et leur proximité du terrain enrichit l’information, donc la manière de résoudre les problématiques.

«Tout cette partie confortait l’idée que l’associatif n’est pas juste une fin en soi mais que cela a du sens dans un processus démocratique et la manière de faire société. Trop souvent perçu comme une force d’opposition, l’associatif est en réalité une véritable source d’action publique et sociale», analyse Pierre Varcher.

Pouvoirs publics et associations, une relation schizophrénique ?

Lorsqu’on étudie les relations entre pouvoirs publics et associations, il est donc important d’analyser leur impact «pour savoir ce qui est positif et ce qui est destructeur», et pour faire «que les relations ne changent pas l’associatif à un point tel qu’il ne soit plus capable de rendre ses services et d’être intrinsèquement bon pour la société», expliquait Monica Battaglini.

Pour cela, elle a conçu un modèle croisant deux critères, l’intégration de l’acteur associatif dans la prise de décision et sa marge de manœuvre dans l’action, et définissant ainsi quatre types de modalités relationnelles : de la «sous-traitance étatiste», lorsque les deux critères sont à leur niveau le plus faible, au «partenariat solidaire» quand ils sont au contraire fortement à l’œuvre.

Extrait de la présentation de Monica Battaglini, professeure à la HETS (Forum Faire démocratie, 18 novembre 2021)

Dans le premier cas, l’association fonctionne comme un service public ou une entreprise privée, l’Assemblée générale ne décide plus grand-chose et on perd l’essence de la démocratie associative. Mais faire vivre le partenariat demande du temps et des compétences : «pour faire ensemble, il faut savoir négocier et avoir des ressources. Les décisions prennent plus de temps. Et si on va vite, c’est au détriment du consensus», ajoute Monica Battaglini.

Cet outil d’analyse n’a pas laissé indifférent. Boris Calame estime que «ce petit tableau illustre très bien le côté schizophrénique de la situation». «Ce modèle assez simple permet de mettre des mots sur le malaise actuel : on savait qu’on n’était pas sur la même longueur d’onde et que le partenariat [FASe] était dénaturé mais avec la présentation de Monica Battaglini, cela s’est mis en ordre et en mots», complète Pierre Varcher.

Là, le bât blesse. La question du «qui paie commande», corollaire du Nouveau management public, n’est jamais bien loin dans ce débat. «Ces associations sont des instruments qui ont été voulus comme citoyens et démocratiques. Or aujourd’hui, on les voit de moins en moins comme des partenaires mais comme des sous-traitants. Cette notion de sous-traitance avec le ‘qui paie commande’ m’a beaucoup choquée et le fait que cela revienne souvent dans la discussion [de la soirée] m’a beaucoup surprise», confie Kaya Pawlowska, l’une des panélistes de la table-ronde. «Si on donne de l’argent à une association, c’est qu’on accorde sa confiance à un partenaire de la société civile. Mais si, avec l’argent, on lui donne une liste d’exigences et de demandes de garanties comme dans un cahier de charges salarial, elle devient simplement une employée», ajoute-t-elle.

«Cela revient à la question du contrat de prestation, c’est à dire quand quelqu’un demande une prestation à autrui», analyse Boris Calame pour qui «la logique associative, ce n’est pas ça. Une association, ce sont des gens qui se mettent ensemble pour réaliser quelque chose. A un moment, l’association va demander un soutien financier. L’acteur qui accepte de la financer considère donc que son action fait du sens, en termes de cohésion sociale par exemple. Avec le contrat de prestation, on est dans la logique inverse : on n’est plus dans une relation de soutien mais dans une relation de financier».

«Ce modèle de sous-traitance a éclaté au grand jour au Forum», relève Pierre Varcher. «On a perdu le contact qui devrait être le nôtre avec l’État. Maintenant, entre nous [les associations de centres d’animation socioculturelle] et l’État, il y a un acteur technocratique [la FASe] qui est sous contrat de prestations avec l’État. Nous n’avons plus de contact direct avec l’État mais un contact avec une instance qui n’a pas de pouvoir politique et qui est là pour faire de l’efficience. Nous sommes en sous-traitance d’un sous-traitant. On est toujours dans le partenariat mais on l’a vidé de son sens.»

Repartie de la soirée avec la publication retraçant les 50 premières années de la FCLR qu’elle a lue depuis, Nathalie Leuenberger dit rejoindre et partager les inquiétudes que suscite le discours actuel qui porte sur la seule dimension financière : «c’est tyrannique. L’argent, c’est froid, ça ne parle pas des liens humains, ça ne parle pas de dignité, ça ne parle pas du pouvoir d’agir en tant qu’humain et citoyen». En ce sens, le modèle analytique proposé par Monica Battaglini a aussi «le mérite de rappeler et de clarifier ce qu’on a en commun : le mandat associatif et la raison d’être de ce système. Et c’est cela qui devrait être notre priorité, indépendamment de la fonction que nous occupons».

Autonomie, vous avez dit autonomie ?

Le partenariat solidaire, cet idéal associatif dans lequel l’intégration à la prise de décision et la marge de manœuvre dans l’action sont les plus fortes, est-il encore possible avec le nouveau management public ? Pendant les débats du Forum, Caroline Marti, députée au Grand Conseil et panéliste, reconnaissait que les pouvoirs publics subventionneurs demandaient de plus en plus de garanties et de retours sur investissement, et que cela pouvait nuire à l’autonomie des associations. De son côté, Xavier Magnin, conseiller administratif à la Ville de Plan-les-Ouates et ancien président de l’Association des communes genevoises, également intervenant dans le panel, a défendu le principe du «qui paie contrôle» jusqu’à l’ingérence dans la vie de l’association, par exemple pour changer un comité, afin de s’assurer de la bonne utilisation des deniers publics.

Entre les deux, Nathalie Leuenberger dit se retrouver régulièrement «avec ce sentiment d’être dans une fonction qui est jugée responsable, pour ne pas dire coupable, de faire tant d’obstacles que les acteurs de terrain perçoivent dans la réalisation de leurs projets. Et réciproquement. Et c’est dommage, c’est comme si nous n’arrivions plus à prendre du recul ni de la hauteur».

La question de l’autonomie associative est au cœur de l’histoire de l’animation socioculturelle genevoise depuis son émergence dans les années 1950-60. Etymologiquement, le mot issu du grec «auto» (soi-même) et «nomos» (la règle) désigne la capacité de l’individu à s’autodéterminer. À l’échelle d’une collectivité ou d’un organisme dotés de pouvoirs et d’institutions, le dictionnaire Larousse la définit comme la «situation leur permettant de gérer les affaires qui leur sont propres sans interférence du pouvoir central».

S’il trouve normal que les associations rendent des comptes sur la bonne utilisation des Fonds, Boris Calame n’en estime pas moins qu’elles doivent pouvoir être libres d’agir dans le cadre de la mission qu’elles se donnent : «Comme pour un théâtre. L’État au sens large a une raison de le soutenir. Mais si l’État commence à se mêler de la programmation, c’est un complet non-sens. Or aujourd’hui, j’ai l’impression que l’État au sens large veut ingérer dans la programmation, alors que sa mission est de s’assurer de la diversité de l’offre au niveau des communes, des quartiers, etc.».

Vital Dorsaz, animateur depuis de nombreuses années, voit lui-aussi ces dernières années un contexte de moins en moins associatif et de moins en moins partenarial. En réponse aux intentions exprimées pendant la soirée, il répond que «donner l’autonomie associative et la garantie de ne pas la remettre en cause, c’est bien. Mais si c’est juste pouvoir choisir la date de la fête de quartier et le groupe de musique, ce n’est pas suffisant». Car ce qu’il entend par autonomie, c’est une autonomie politique, au sens philosophique du terme, qu’il relie à une question de culture politique : «On peut bien sûr s’assurer que les moyens ne soient pas détournés. Mais dans une logique partenariale, quand on subventionne, on se met au service du projet de l’autre. C’est donc plus qu’un partenariat solidaire. Mais ça demande une certaine culture politique qui n’est pas la culture dominante». Au contraire, il relève les indicateurs toujours plus nombreux «et souvent pas pertinents» imposés aux centres d’animation socioculturelle : «les politiques se cachent derrière les outils de l’ingénierie sociale, avec une logique managériale qui exige de plus en plus de contrôle au moyen d’outils informatiques».

Pierre Varcher dénonce aussi ces outils et cite le rapport de la Cour des comptes sur l’animation socioculturelle à destination des adultes qui reconnaît qu’il n’y a pas d’indicateurs assez précis pour mesurer ce que ces actions rapportent en termes d’engagement pour la société : «on aboutit à des indicateurs uniquement quantitatifs et définis en fonction de ce qui est mesurable, par exemple le nombre d’heures passées sur telle ou telle activité», alors que ce qui se joue en animation culturelle est au cœur du projet démocratique. 

Quelle démocratie ?

Encore faut-il s’entendre sur la forme de démocratie, comme l’a relevé Caroline Marti pendant la soirée faisant référence à la tension qui se joue ici entre démocratie représentative et démocratie participative. Quel est dès lors le commun qui cimente les fondements démocratiques du partenariat de l’animation socioculturelle et quel est le degré de contribution, de co-construction, de co-décision qui s’y exerce ?

Boris Calame le rappelle, «dans les maisons de quartier, il y a aussi un côté participatif. La population doit s’emparer des lieux et exprimer des attentes. Les animatrices et animateurs sont là pour accompagner».

Nathalie Leuenberger salue l’organisation de ce Forum et de l’opportunité d’y aborder le sujet important de la démocratie participative «dans les valeurs qu’on lui reconnaît, qu’on essaie d’incarner, dans les moyens qu’on se donne pour la perpétuer, en termes de dialogue et d’écoute réciproque, et de temps que cela exige aussi». Mais elle regrette que les enjeux financiers fassent oublier ou négliger ce savoir-faire suisse en matière de dialogue démocratique : «Cela donne le sentiment qu’on passe à côté de la dimension sacrée du projet de démocratie dont il est question».

La vie associative sans autonomie ne serait-elle pas la ruine de la démocratie ?

Mobilisations nouvelles

Dans un contexte d’injonctions du «qui paie commande» et de perte d’autonomie des associations traditionnelles, de nouvelles mobilisations émergent. Une partie de la jeunesse veut participer autrement à une forme d’action publique qui répond au «besoin des jeunes de s’engager ponctuellement en s’appuyant sur de nouvelles manières de communiquer qui vont très vite», explique Kaya Pawlowska. «Ce temps court va forcément avec une certaine forme de radicalité : lorsque tout le monde est descendu dans la rue à Genève pendant le mouvement Black Lives Matter, il n’y avait même pas le début d’un noyau de gens afro-descendants organisés en association mais des gens qui se sont dit ‘il faut faire la même chose à Genève qu’aux Etats-Unis’.» C’est à court terme, mais l’effet est là : «10’000 personnes dans les rues qui envoient le message aux politiques :‘Faites votre travail’. Cette radicalité s’exprime pour exiger une action immédiate des pouvoirs publics, sans forcément que les jeunes veuillent que le mouvement s’institutionnalise», ajoute Kaya Pawlowska. Black Lives Matter s’est d’ailleurs dissout dans la société civile depuis. 

Ces mobilisations éphémères viennent bousculer la temporalité de l’action et la question de la professionnalisation et de l’institutionnalisation des associations. Dans le public du Forum, un jeune animateur socioculturel a ainsi expliqué comment il séparait son engagement militant en dehors de son travail à la maison de quartier (cf. à ce sujet la Lettre d’information d’octobre 2018 sur le passage de témoin entre générations d’animatrices et animateurs socioculturel.les).

Ces mouvements sont basés sur des engagements bénévoles difficilement compatibles avec l’animation socioculturelle qui comptent un nombre non négligeable de professionnel.les. Or, «pour conduire des politiques de renforcement du lien social à long terme, je ne pense pas qu’on puisse se baser uniquement sur l’éphémère», souligne Vital Dorsaz. Le terrain de l’animation socioculturelle nécessite du temps pour créer du lien avec les actrices et acteurs du quartier, avec ses habitantes et habitants.

Mais ces deux formes d’engagement sont complémentaires, co-existent et se rencontrent. Les centres d’animation socioculturelle sont eux-mêmes sources d’émergences mobilisatrices, c’est même le cœur de la mission de l’animation socioculturelle. «Ce qui est merveilleux avec l’ASC, c’est qu’on mène à la fois un travail de prestation de services et un objectif de changement social», expliquait Pascal Thurnherr, président de la FCLR et panéliste du Forum. «La participation à bas seuil de l’ASC le permet», précisait-il. «Ce qui est à reprendre de ces mouvements éphémères», ajoute Vital Dorsaz, «c’est de ne pas avoir des programmes figés qui prennent l’entier des ressources de la maison de quartier, mais de garder de la disponibilité pour réagir et pouvoir répondre instantanément à des demandes qui surgissent de la population». Pas simple quand les outils de contrôle voudraient que les centres planifient à l’avance l’utilisation des heures d’animation : «comment arriver à garder des espaces pour être réactif dans un système de plus en plus prédictif ?» regrette Vital Dorsaz. «C’est le contraire de la logique managériale qui est mise en place actuellement par des gens qui ont une inculture de l’animation socioculturelle.»

Quelles boussoles pour l’après ?

Comment dans ce contexte repenser l’autonomie de la vie associative pour en faire une nouvelle étape démocratique ? Comment sortir de la logique de contrôle pour considérer pleinement les associations comme des alliées d’un renouveau démocratique ?

«Là où on arrive à développer une vie associative, on réussit un des objectifs de l’animation socioculturelle qui est de faire démocratie, de faire société», rappelait Pascal Thurnherr pendant la soirée. «Ce modèle est plus actuel que jamais d’autant qu’on traverse une période de défiance vis-à-vis des institutions. Il devrait y avoir une vraie alliance avec les autorités car en subventionnant les associations et en leur donnant leur autonomie, le message implicite aux habitantes et habitants, c’est ‘on vous donne les moyens de travailler ces questions-là’. C’est un moyen puissant de développer le lien et la confiance entre population et autorités».

Pour envisager autrement la relation entre associations et pouvoirs publics, Monica Battaglini disait au Forum que si l’association a besoin d’autonomie pour garder son caractère associatif, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle puisse tout faire. Le partenariat engage les deux parties. Au «qui paie commande», elle préfère donc le «qui paie participe ou collabore».

Kaya Pawlowska estime que l’État devrait être flexible sur les conditions et propose «qu’il fournisse aux associations et à leurs bénévoles les moyens de répondre à ses niveaux d’exigence», comme du personnel comptable mutualisé et mis gratuitement à leur disposition. Au cours de la soirée, Caroline Marti a fait le parallèle avec les universités qui sont soumises à des conventions d’objectifs, et non à des contrats de prestations. Cela pourrait-il être une piste ?

Selon Boris Calame, «il faut que les associations de centres réaffirment qui elles sont : elles ne sont pas des prestataires de services pour la collectivité. Elles sont rassemblées autour d’une mission et de statuts, et sont portées par des bénévoles». Le politique ne doit pas ingérer dans l’opérationnel mais il peut avoir une dynamique dans la stratégie de l’association dans un cadre partenarial : «on se met autour d’un table et on discute entre partenaires pour faire ensemble : il doit y avoir du respect, il ne faut pas que l’un regarde l’autre de haut.» Il rappelle aussi que l’article 211 «Associations et bénévolat» de la Constitution genevoise a précisément été écrit en réponse aux contrats de prestations en mettant l’accent sur la reconnaissance par l’État du rôle des associations et du bénévolat dans la vie collective, et de leur autonomie, et sur la possibilité pour l’État de nouer des partenariats. Ces trois éléments clés sont autant de garde-fous qu’il faudrait rappeler dans les conventions et les contrats de prestation pour en cadrer les fonctionnements.

Quant à Pierre Varcher, il voit dans le modèle analytique conçu par Monica Battaglini un outil fort que les centres devraient utiliser pour jauger de la pratique partenariale et penser leur action. «Cet outil devrait être présent partout pour conscientiser tout le monde», explique-t-il. «Une maison de quartier ne peut pas fonctionner toute seule, elle doit fonctionner en partenariat car elle bénéficie d’appui financier. Et quel est ce lien : les rapports entre association et pouvoir public. Est-ce qu’on se laisse intimider et on devient sous-traitant mandaté, engagé en donnant une force de travail gratuite ? Ou bien on affirme qu’on s’engage en partenariat pour un projet de société ? Et si on est dans un partenariat, on est reconnu pour ce qu’on est dans le partenariat, à savoir un groupe de personnes qui a envie d’agir collectivement. C’est pourquoi la FCLR devrait reprendre ce tableau et ses critères dans le cadre de son programme de formation».

«Nous sommes toutes et tous façonnné.es par des rôles et des fonctions, et cela a tendance à prendre le dessus sur la raison d’être que l’on cherche à faire ensemble», analyse Nathalie Leuenberger. Dans ce contexte, le tableau de Monica Battaglini constitue pour elle «un outil neutre qui nous permet de nous représenter le schéma relationnel. Il nous replace dans nos rôles mais remet aussi au centre l’objet qui nous réunit et nous invite à assumer nos responsabilités de manière saine et constructive en permettant  d’exprimer les contingences de chacun».

Outre ce modèle, et revenant sur les moyens à se donner pour faire vivre la démocratie participative, Nathalie Leuenberger partage une utopie : poursuivre le Forum dédié au sujet «sacré» de la démocratie en élargissant le cercle des parties prenantes présentes. «Je suis aussi engagée en politique parce que j’ai cette croyance que c’est par le dialogue et l’écoute réciproque qu’on arrive à trouver des réponses. Alors poursuivons dans cette voie. (…) On est en capacité d’organiser ce qu’on pourrait appeler des Assises de l’animation socioculturelle et on a suffisamment de professionnel.les compétent.es pour soutenir et faciliter cette ambition». Cette proposition est certes à contre-pied du compte à rebours enclenché dans le cadre du transfert de charges du canton aux communes. Mais, après deux ans de crise sanitaire, Nathalie Leuenberger perçoit en effet «un besoin majeur de nous donner des moyens de nous rassembler, de nous retrouver et de créer des espaces où on s’autoriserait à exprimer ce que nous vivons et subissons».

Soigner le ferment de la démocratie du quotidien

«La plupart du temps, c’est celui qui a les ressources financières qui détient le pouvoir. Mais quand l’association a les ressources expérientielles, c’est elle qui peut tenir le manche», rappelait Monica Battaglini en conclusion de sa conférence.

«On est à une période charnière. On parle de municipalisation… mais il faut garder l’espoir de réenchanter l’animation socioculturelle car on ne peut pas contribuer au mieux vivre ensemble dans un monde désenchanté, ni même dans une structure désenchantée», affirme Vital Dorsaz. C’est aussi l’espoir qui anime Nathalie Leuenberger, car «on œuvre pour quelque chose qui est plus grand que nous, et il semble que depuis plus de 50 ans, ce projet a des caractéristiques qui lui permettent de nous survivre».

Le témoignage de Maria est venu rappeler tout le travail d’intégration que peut faire l’animation socioculturelle. La soirée a conforté le modèle associatif et fourni un outil de choix pour en mesurer la vitalité à l’aune de son degré d’autonomie.

Engager, pratiquer, soutenir une démocratie du quotidien… L’animation socioculturelle propose une forme de démocratie, pas seulement participative mais radicale, qui redonne à toutes et tous les habitant.es (y compris celles et ceux que la démocratie participative peine à toucher) la possession de l’action et de la décision dans l’espace-temps qui les concerne directement, en faisant communauté et convivialité autour de projets communs. Il faut prendre soin de ce ferment-là.

Outil de jardinage vert clair

Pour aller plus loin

Publié le
Catégorie
: