La juste reconnaissance des monitrices et moniteurs : retour sur le retrait de la proposition de modification de leur contrat de travail

Crédit : Bolivia Inteligente / Unsplash

Les moniteurs et les monitrices sont essentiel·les pour les centres d’animation socioculturelle de Genève. C’est l’un des constats relevés par l’étude-action menée par la Fédération des centres de loisirs et de rencontres (FCLR) en 2019, soulignant leur importance en tant que source d’idées et d’initiatives nouvelles. D’où la nécessité de mieux reconnaître leur fonction et la série d’articles que la FCLR a décidé de leur consacrer dans cette newsletter. Cet article, le deuxième de la série, s’intéresse à une proposition faite par la FASe en 2022 d’améliorer leur statut en transformant leur contrat de travail horaire en un contrat en taux. Considérée comme un progrès social, entre autres par la FCLR, cette proposition a finalement été retirée en décembre dernier. Une décision qui laisse les moniteurs et monitrices dans le statu quo. Retour sur ce qui a mené au retrait d’une proposition jugée trop confuse et peu alignée sur les besoins des principaux et principales intéressé·es.…

Les moniteurs et monitrices sont en première ligne pour encadrer les activités proposées par les maisons de quartier, les jardins Robinson ou les terrains d’aventures. Ils et elles y mènent une large gamme d’activités alliant culture, sport ou encore découverte de la nature. Les nombreuses qualités à posséder pour satisfaire le cahier des charges de la fonction ne s’arrêtent pas là, car selon les centres de loisirs, plus ou moins de liberté et d’initiative leur sont accordées. Les moniteurs et monitrices peuvent être appelé·es à veiller à la sécurité des participant·es, gérer le matériel, planifier et préparer les activités, et superviser le déroulement de ces dernières, sous la responsabilité des animateurs et des animatrices. Leur plus-value va encore au-delà : les moniteurs et monitrices contribuent largement à la qualité de l’accueil et leur apport en termes d’idées et d’initiatives est capital pour l’accueil au quotidien des publics.

Une fonction à valoriser

Malheureusement, le statut des moniteurs et monitrices n’est pas à la hauteur de leur importance, principalement parce que leur rôle n’est pas considéré comme une profession, mais comme une fonction limitée dans le temps. C’est un «à côté» ou un «job d’étudiant·e» que l’on pratique à l’heure ou à la journée pour arrondir les fins de mois ou payer ses sorties. Pourtant, la fonction s’avère bien plus formatrice et porteuse qu’il n’y paraît. Elle sert d’ailleurs souvent d’inspiration pour trouver sa voie professionnelle et peut être un tremplin pour de futures formations dans le secteur social ou médical, ce qu’a illustré l’article paru dans le numéro de décembre 2022 de la newsletter. Car être moniteur ou monitrice permet également d’apprendre et de développer de nouvelles compétences. Certain·es sont d’ailleurs tenté·es d’en faire un vrai métier. Pourtant, les perspectives de carrière dans ce domaine sont inexistantes puisqu’ils et elles doivent quitter leur fonction après six ans — les renouvellements sont néanmoins possibles — et que l’évolution de carrière se situe plutôt au niveau de la formation menant à un autre métier, celui d’assistant·e socio-éducatif·ve ou d’animateur / animatrice par exemple. De plus, les niveaux de rémunération sont peu flatteurs — une classe 6 à peine au dessus du salaire minimum genevois — et des possibilités limitées d’accroître le nombre d’heures de travail.

La Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) s’est récemment empoignée de ces questions et une proposition concrète a été mise en discussion pour faire évoluer la fonction : le passage d’un contrat horaire à un contrat en taux pour les moniteurs et monitrices et les cuisinières et cuisiniers. Cette proposition a abouti à une demande de modification de la convention collective de travail (CCT) par le Conseil de fondation. Envoyée à la Commission paritaire (CP) le 7 mars 2022, elle a finalement été retirée début décembre 2022.

Une proposition qui en cachait une autre

Pour comprendre ce qui a mené le Conseil de fondation à retirer sa proposition, il faut revenir sur son contenu. Selon Alice Lefrançois, secrétaire syndicale au Syndicat interprofessionnel des travailleurs et travailleuses (SIT), ce n’est pas le passage au contrat en taux proprement dit qui a posé problème. La proposition mélangeait en effet un autre objet qui a fait réagir les syndicats. «Le 22 février 2022, la CP a bien reçu un projet de modification de la CCT concernant le passage des contrats des moniteurs et monitrices et les cuisinières et cuisiniers en taux. Mais selon ce courrier, le Conseil de fondation souhaitait lier cette question à une interprétation du traitement des heures supplémentaires concernant l’ensemble des employé·es», précise-t-elle.

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Les syndicats ont identifié plusieurs problèmes majeurs avec cette double proposition, le calcul des heures supplémentaires en premier lieu. «Nous venions de terminer, quelques semaines plus tôt, un long processus de six séances en Commission paritaire sur les modalités de calcul des heures supplémentaires sans que nous parvenions à trouver un accord. Le résultat a donc été que les heures supplémentaires pouvaient être calculées à la semaine au minimum — position des syndicats — et au maximum au trimestre — position de l’employeur — en laissant le choix de la base de calcul aux comités [de centres] ou aux responsables d’équipe. Ces négociations se sont vues balayées par cette nouvelle proposition, car elle incluait un calcul des heures uniquement au trimestre. Honnêtement, cela nous a fait penser à un chantage déguisé ou à un troc du passage au taux pour les moniteurs et monitrices contre une révision du calcul des heures supplémentaires pour toutes et tous les employés», regrette Vital Dorsaz, animateur socioculturel et délégué syndical membre de la CP pour le SIT.

Selon la période de l’année, et pendant les camps de vacances en particulier, les moniteurs et les monitrices, au même titre que toutes et tous les employés de l’équipe sont très exposé·es aux heures supplémentaires. Or, la façon de calculer ces heures peut avoir un impact considérable sur les modalités de récupération. «En imposant un décompte des heures supplémentaires au trimestre», explique Alice Lefrançois, «ces heures auraient été moyennées sur de longs mois, et rarement majorées, contrairement au calcul à la semaine». Donc moins bien compensées. Alice Lefrançois explique aussi que, selon la CCT, les moniteurs et monitrices ne sont pas concerné·es par le calcul des heures supplémentaires, contrairement à toutes et tous les autres employé·es.

C’est donc bien l’amalgame d’un passage en taux pour les moniteurs et monitrices avec une modification du comptage des heures supplémentaires pour l’ensemble des salarié·es qui a choqué les syndicats. Ceux-ci ont donc demandé au Conseil de fondation de traiter les deux questions séparément. «Nous n’avons jamais refusé la proposition d’un passage au taux, nous nous sommes simplement positionné·es sur la séparation des deux points», insiste Vital Dorsaz.

Nombreuses zones d’ombres

Les syndicats ont fait remarquer à la délégation Employeur de la CP que la proposition de modification des contrats en taux horaire amenée par le Conseil de fondation ne s’appuyait sur aucune demande du personnel. De plus, pour Silvio Albino, animateur socioculturel et délégué syndical membre de la CP pour le Syndicat des services publics (SSP), la proposition du passage au taux manquait réellement de précisions sur son déploiement et sur les modifications de la CCT qu’il allait susciter. Afin de se faire une opinion sur cette question, les syndicats ont demandé au Conseil de fondation que les modalités d’application leur soient fournies, en vain. «L’analyse du document présenté révèle de grandes incohérences. Le statut des moniteurs et monitrices est très particulier et il donne lieu à beaucoup de spécificités dans la CCT, sans parler des modalités d’application qui s’appuient davantage sur la coutume que sur des règles écrites. Ainsi, la CCT est très délicate à modifier, car une ligne peut rendre caducs d’autres points ou coutumes essentielles par rebondissement», précise la secrétaire syndicale. En d’autres termes, les syndicats n’ont pas obtenu les informations précises sur les modalités d’application qui auraient permis de s’assurer que le statut de moniteur et monitrice ne serait pas dégradé.

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Potentiel d’amélioration mis en doute

La proposition du Conseil de fondation n’avance aucune preuve qu’un passage au taux apporterait des améliorations réelles pour les moniteurs et monitrices. Selon Vital Dorsaz, «les moniteurs et monitrices sont favorables à une amélioration de leur statut. Le passage au taux n’est néanmoins pas perçu comme une solution, car il n’entraînerait pas d’amélioration de salaire ni du nombre d’heures travaillées». Au contraire, le passage en taux imposerait une limitation du droit d’effectuer des heures arythmiques, soit le soir et le week-end, ce qui pénaliserait particulièrement les faibles taux de travail. Ajoutée à la deuxième proposition abordant les heures supplémentaires comptabilisées au trimestre, elle rendrait caduque toute prétention d’amélioration. Les délégués syndicaux précisent qu’il est difficile de solliciter l’avis des moniteurs et monitrices, car ce sont majoritairement des personnes à temps partiel avec des activités annexes donc des préoccupations multiples. «Pour cette proposition, nous avons tout de même pu avoir leur positionnement lors d’un groupe de travail le 12 avril 2022 et lors d’une Assemblée générale le 25 avril 2022 auxquelles l’ensemble du personnel a été invité. Mais personne n’a su trancher pour dire si la proposition de taux était positive ou négative pour leur statut…».

Pour finir, le Conseil de fondation a retiré sa proposition. Pour autant, aucune perspective d’amélioration de la situation des moniteurs et monitrices n’est visiblement sur la table des discussions. Pour entrevoir une avancée potentielle future, il faut se tourner vers l’État et son projet G’Evolue qui vise la redéfinition de ses grilles salariales, y compris pour le personnel de la FASe. «G’Evolue devrait aboutir à une augmentation des salaires des moniteurs et monitrices, mais ça va prendre plusieurs années. Une demande d’augmentation des salaires via une réévaluation de la fonction des moniteurs et monitrices serait plus rapide que G’Evolue», termine Alice Lefrançois en faisant la lumière sur les attentes réelles des moniteurs et des monitrices : l’amélioration de leurs conditions salariales.

Cette proposition finalement retirée souligne une nouvelle fois l’importance et la nécessité de valoriser le travail et le statut des moniteurs et monitrices. La solution viendra peut-être d’une proposition plus en lien avec leurs besoins réels ? L’avenir le dira.

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