Monitrices et moniteurs, les chevilles ouvrières de l’animation socioculturelle


Crédit photo : Couverture de la bande dessinée de Bernadette Hiéris et Al. G. Société parisienne d’édition. Paris, 1958.

En décidant en 2019 de conduire une étude-action, la FCLR souhaitait «poser un regard sur le fonctionnement de l’animation socioculturelle tel qu’il est perçu par les acteurs et actrices de terrain, à savoir les professionnel.le.s et les membres de comités». Parmi les constats, le rôle de plus en plus important des monitrices et moniteurs a été salué car leur apport est «source d’idées et d’initiatives nouvelles» et «permet aux centres d’étoffer la qualité de l’accueil». Mais ce que le rapport soulevait aussi, c’est la question de leur statut, et de la reconnaissance de leur rôle et des compétences qu’ils et elles acquièrent au cours de leurs engagements. Ces derniers mois, la Commission paritaire s’est empoignée de ces questions et des propositions sont en discussion pour faire évoluer la fonction.

Mais qui sont ces jeunes qui s’engagent ainsi dans les centres ? Quel est leur moteur ? Et quelles traces cette expérience imprime-t-elle dans la suite de leur parcours ?

Il est temps pour cette newsletter de donner un grand coup de projecteur sur ces chevilles ouvrières de l’animation socioculturelle, à travers les récits de Valentina Sherifi, Eliott Preti et Dinis Da Costa…

L’enthousiaste et dynamique monitrice, sifflet au cou, entraînant joyeusement dans son sillage un groupe de jeunes à l’assaut d’une montagne… L’image peut faire sourire, elle semble un peu surannée, il est vrai. Mais est-elle pourtant si datée ? A écouter Valentina, Eliott et Dinis partager avec cœur leurs vécus de monitrice et moniteurs, on se dit qu’il y a sûrement ici quelque chose d’intemporel, et d’essentiel.

Valentina Sherifi n’était pas très bonne élève au cycle d’orientation. Elle a donc été orientée vers le Centre de transition professionnelle et «incitée» à chercher des stages ici et là en coiffure ou en esthétique… sans y trouver de vibration. Aujourd’hui, elle est TSHM à la commune de Lancy. Entre les deux, une rencontre et un passage marquant à Rinia Contact où elle a fait un pré-apprentissage de 10 mois au métier d’assistante socio-éducative (ASE), comme son oncle qui y travaillait. «J’ai beaucoup apprécié ce que l’association proposait en termes d’animations, le domaine du social avait l’air de me correspondre». De fil en aiguille, elle y a enchaîné une année comme monitrice et expérimenté le métier en même temps qu’elle se formait comme ASE. Son CFC en poche, elle a continué de faire des remplacements à Rinia Contact puis a travaillé en crèche, puis… puis… jusqu’au travail social hors murs à Lancy. «Cette année de monitrice a été décisive», affirme Valentina. «Elle m’a permis de me poser les bonnes questions. J’étais souvent sur le terrain pour les animations, en étant accompagnée par un animateur ou une animatrice. C’est là que je me suis dit : je veux travailler dans le social.»  

Solitaire, Eliott Preti était plutôt perçu par ses profs comme un «gâchis», un premier de classe qui s’ignorait peut-être. C’est le scoutisme qui lui a permis de faire l’expérience du monde extérieur et de «faire ses armes». Il est tombé dans la marmite de l’animation socioculturelle à 19 ans justement parce que les formations suivies dans le cadre du mouvement scout lui ont donné des équivalences. «Ensuite, chaque année, j’ai fait des centres aérés», dit-il. «Puis j’ai saisi une occasion d’avoir un statut officiel de moniteur en devenant remplaçant fixe à l’année à la maison de quartier de Champel.» Il y a 4-5 ans, il a rejoint la maison de quartier Sous l’Étoile, en saisissant là-encore une opportunité avec l’ouverture de l’accueil libre enfants où tout était à construire. «Je ne savais pas trop ce que je voulais faire. Ce qui m’attirait quand j’ai commencé comme moniteur, c’est le côté jeux et animations pures. Ensuite, j’ai étoffé cette base avec la conscience de ce que cela apporte. Il m’a fallu du temps et tester différentes choses avant de décider de faire la HETS». Il a entamé le cursus en septembre 2021 pour devenir animateur socioculturel.

«Ados, j’étais très turbulent», confie Dinis Da Costa. «À partir de mes 19-20 ans, j’ai voulu reprendre le droit de chemin. J’avais commencé un stage et un apprentissage en mécanique mais je me suis cassé la main. Plus tard, j’ai essayé la restauration et je n’ai pas aimé. J’ai finalement commencé un parcours avec l’association Scène active [qui offre un tremplin pour les jeunes qui cherchent leur voie à travers le théâtre et des ateliers créatifs]». Et c’est là, en 2016, qu’il a commencé un stage à la maison de quartier des Avanchets. Après, il a rejoint pendant 2-3 ans Vernier sur Rock. Puis, il a commencé un apprentissage d’assistant socio-éducatif qu’il a terminé à l’été 2021. «Pour la suite de mon parcours, j’envisage  de commencer une formation d’ambulancier», ajoute-t-il. 

Trouver sa place

A les entendre, et sûrement à les lire aussi, ces parcours affichent une belle cohérence, comme si d’évidence, l’expérience de monitrice ou moniteur donnait des ailes. Pourtant, en démarrant, il a d’abord fallu tracer son sillon, trouver sa place… Tou.tes les trois le disent, ils et elle ont pu compter sur des collègues animateurs et animatrices, guides, sources d’inspiration, ou au contraire repoussoirs, pour se construire dans leur rôle. Et puis, il y avait aussi les autres monitrices et moniteurs pour s’entraider et se donner des conseils, des pairs chez qui trouver du soutien ou du réconfort. 

Dinis se souvient : «au début, j’étais beaucoup sous les ordres des animateurs, c’était pas trop le kiff car je voulais plus de responsabilités et proposer des choses par moi-même, pas juste faire ce qu’on me disait de faire». Mais ce n’est pas toujours comme cela. L’espace laissé aux moniteurs et aux monitrices varie selon les endroits et les animateurs et animatrices. «Chez les scouts, j’ai rapidement eu la responsabilité de camps», explique Eliott. «Ensuite, j’ai aussi eu des expériences de centres aérés où des animateurs et animatrices sont plus dans le contrôle». A la MQ Sous l’Etoile, il bénéficie au contraire d’une large place pour faire les choses comme il l’entend.

Y a-t-il quelque chose là qui doit se gagner en termes de confiance et de la délégation ? Eliott précise : «en tout cas, quelque chose qui peut se discuter». Pour cela, il faut comprendre rapidement comment les animatrices et animateurs du lieu veulent fonctionner. «Souvent, j’ai entendu des animateurs me dire ‘je ne laisserai pas n’importe qui faire ce que tu fais’. J’ai compris que si on me confiait ces tâches, c’est parce que j’avais déjà de l’expérience.»

Illustration @watermelonman

Gérer le chaos et l’imprévu… Un «job» de qualités

Se plonger dans le bain de l’animation socioculturelle avec peu voire pas de bagage préalable est bien un défi. Il y a certes la formation du Centre de formation continue / CEFOC mais elle est relativement récente et toutes les monitrices et tous les moniteurs ne l’ont pas suivie avant de commencer.

Indéniablement, le courage de s’être lancé.e est une qualité que ces trois-là partagent. Et quand on leur demande quelles sont les qualités qu’elle et ils identifient pour assurer ce rôle, la palette s’élargit vite.

Ouverture d’esprit, flexibilité et énergie, telles sont les trois que Valentina retient pour travailler comme monitrice : l’ouverture d’esprit car la fonction «expose parfois à des situations compliquées» ; la flexibilité et l’énergie «car on nous en demande beaucoup», concède Valentina. «On fait presque le même travail qu’un animateur sur le terrain : il faut un certain investissement et on a aussi beaucoup de responsabilités.» Une bonne dose de rigueur n’est sans doute pas de trop pour pouvoir gérer les projets et travailler avec les publics qui leur sont confiés.

Eliott met en avant l’esprit positif et la «capacité à gérer le chaos et les imprévus, une grande qualité dans le social». Dans ce sens, il faut être capable de se remettre en question et de s’adapter aux différents publics, tout en gardant une posture assurée. On l’imagine, cela demande un certain sens de l’équilibre. «Et du bons sens, et l’intérêt pour les habitant.es», ajoute Dinis. «On ne peut pas être moniteur par devoir», conclut-il.

La dimension associative, un impensé ?

La conscience de travailler dans une association en rejoignant une maison de quartier ou un centre d’animation socioculturelle et d’entrer dans un écosystème complexe, aux acteurs multiples, n’est pas une évidence chez les moniteurs et monitrices.

En tout cas, cela ne l’était pas au début pour Valentina, Dinis et Eliott. A Rinia Contact, Valentina n’avait pas de lien avec le comité. Eliott explique que pour lui, le lien était léger mais «en tant que moniteur», dit-il, «il n’y a pas tellement de raison pratique d’avoir des liens avec le comité». De son côté, Dinis a eu beaucoup des contacts avec les membres de comité que ce soit à la MQ des Avanchets ou à Vernier sur Rock. Pour autant, « même si les membres des comités amènent le lien avec les habitant.es, j’avais le sentiment d’un rôle fictif et de ne pas avoir besoin d’eux pour travailler comme moniteur».

C’est petit à petit qu’Eliott a découvert les différents acteurs de l’écosystème, la FCLR, la FASe… «Tant que je travaillais comme moniteur en job d’étudiant, comprendre tout cela n’était pas la priorité. J’ai bossé 3-4 ans comme moniteur fixe avant d’avoir conscience de toute la machinerie. C’est notamment à ce moment-là que j’ai découvert la FCLR», explique-t-il.

Dans leur parcours de monitrice et moniteurs, la dimension associative n’est visiblement pas la plus notable : les acquis sont clairement ailleurs.

Illustration @Alain Robert
L’important, c’est le chemin

Leurs plus belles réussites de monitrice et moniteurs révèlent leurs ressources personnelles. Eliott se souvient notamment de la mise en place du nouvel accueil enfants à la MQ Sous l’Étoile. Et dit-il, «en voyant des enfants que j’ai suivis devenir ados ou en voyant des jeunes autrefois difficiles venir me taper dans le dos, je me rends compte des résultats du travail fourni». De son côté, Dinis a organisé seul, l’été dernier, l’espace estival pour tout le quartier et c’est une grande fierté.

Valentina mentionne sa participation au projet «Mariage arrangé forcé» devenu «Libre choix amoureux» mis en place à Rinia Contact pour aborder ce sujet délicat, et tabou, avec les jeunes et les familles, notamment de la communauté albanaise. Elle devait travailler avec les jeunes, et trouver les moyens d’ouvrir la discussion sans amener la question de manière trop frontale. «C’était un projet qui me parlait beaucoup car je fais partie de cette communauté et j’ai moi-même été confrontée à ce problème. J’ai pu partir de mon expérience pour engager le contact et poser les questions. Avec des jeunes filles, nous avons créé un conte que mes collègues ont ensuite réutilisé et exposé.»

Que ce soit Valentina, Dinis ou Eliott, ils et elle disent avoir acquis des compétences, des savoir-faire et des savoir-être solidement ancrées pour la suite de leurs parcours.

Valentina évoque notamment la prise de parole : «Donner son avis, avoir le courage de le faire face à l’équipe dans un colloque, c’était compliqué pour moi et on m’a donné le courage de le faire quand j’étais monitrice». Un atout certain pour développer la confiance en soi.

Dinis sait comment parler à des ados, s’adapter à la situation du moment, entendre les émotions, etc. En choisissant de se former au métier d’ambulancier, il veut s’orienter vers le soin aux autres, une direction dans laquelle ses qualités d’écoute et son adaptabilité seront à n’en pas douter grandement sollicitées. 

Marqué.es pour la vie

Les récits de Valentina, Dinis et Eliott illustrent des parcours singuliers. Mais pas rares, comme le montre l’exemple des parcours des trois coordinatrice et coordinateurs fédératifs de la FCLR, qui ont aussi débuté comme monitrice et moniteurs.

Guidé par les circonstances ou les rencontres, le passage à ce rôle clé de monitrice ou moniteur, au contact quotidien des habitant.es et des publics des centres, marque pour la vie. L’enthousiasme et le dynamisme qui a nourri l’engagement de Eliott, Dinis et Valentina au tournant à l’âge adulte est venu donner corps à des convictions fortes qui conditionnent le chemin qu’ils et elle ont pris aujourd’hui.

«Cette année de monitrice a consolidé mon projet d’avenir», conclut Valentina. «C’est une étape vraiment importante dans ma vie. Il faudrait engager des moniteurs et monitrices qui pensent s’orienter dans le social.». Pour Eliott, «c’était un bon ballon d’essai».

Mais n’éteignons pas tout de suite le projecteur. Une prochaine édition de cette newsletter continuera d’explorer le rôle des monitrices et moniteurs en allant voir la manière dont les comités les perçoivent, ainsi que les liens qu’ils entretiennent avec elles et eux…

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