Projet de transfert de charges financières du canton aux communes

Suites et développements


Crédit photo : Jens Lelie / Unsplash

Il y a tout juste un an, nous consacrions un long article sur les enjeux et perspectives pour l’animation socioculturelle du projet de transfert de charges financières du canton aux communes. Au moment où nous écrivions la conclusion de cet article, en novembre 2021, un avant-projet de loi avait ainsi été mis en consultation. Le projet ? Un désengagement de l’État de l’animation socioculturelle (ASC)sur fond de tension budgétaire et une reprise du financement cantonal de l’ASC par les communes. Dans ce projet, la FASe devrait conserver la gestion des projets transversaux dont le financement continuerait d’être assuré par le canton. Quant aux communes, elles revendiquent dans cette perspective une représentation plus importante en matière de gouvernance et de prise de décisions. Le nouveau cadre prévoirait également la création d’un Groupement intercommunal, seule forme juridique qui permettrait de garantir le maintien des associations et du personnel dans le dispositif.

Qu’en est-il aujourd’hui de ce dossier ? Et quels impacts opérationnels les associations de centres perçoivent-elles ? C’est ce que cet article vous propose de découvrir…

Où en sommes-nous : point de situation sur le dossier transfert de charges

Depuis novembre 2021, le dossier du transfert de charges n’a cessé de mobiliser fortement la FCLR et ses membres. En effet, dès décembre 2021, l’avant-projet de loi est devenu un projet de loi, dont le Grand Conseil a confié l’étude à la Commission des affaires sociales, la Commission des finances s’estimant incompétente. Au cours de ses travaux, la Commission des affaires sociales a décidé de geler le projet et demandé une audition de professionnel.les de l’animation.

La FASe s’est officiellement prononcée contre le changement de loi. Et, dans le cas où il se concrétiserait malgré tout, elle a demandé la garantie que le groupement intercommunal reprenne la Convention collective de travail (CCT), ainsi qu’une gouvernance quadripartite de l’ASC rassemblant les quatre partenaires actuels de la FASe (Canton, communes, Personnel, FCLR).

En parallèle, une motion a été déposée en novembre 2021 au Grand Conseil demandant au Conseil d’État de répondre aux «craintes que le changement de loi pourrait affaiblir le statut des professionnel.les de l’animation et la position des associations» dans le dispositif. En réponse, le Conseiller d’État Thierry Apothéloz a mandaté une évaluation externe pour étudier l’impact d’un changement de loi, établir différents scénarios et identifier le cadre le plus acceptable pour tous les partenaires. Un mandat de trois mois a ainsi été confié à M. Stanislas Zuin, ancien président de la Cour des comptes, pour éclairer la rédaction de la future loi à travers, entre autres, l’audition des différentes parties prenantes. Cette évaluation est actuellement en cours.

On le voit, le dossier reste complexe et ces changements vont à n’en pas douter toucher d’une manière ou d’une autre le fonctionnement associatif de l’animation socioculturelle genevoise. Son cadre général va de fait changer puisque la loi J-6-11 va changer. Il fallait donc bien cette longue introduction pour tenter d’appréhender cette complexité et de reprendre le fil de l’histoire là où nous l’avions laissé il y a un an.

Des auditions pour défendre les spécificités de l’ASC genevoise

Mais tout n’est pas encore écrit. Les associations de centres ont eu la possibilité de défendre les intérêts et l’identité de l’animation socioculturelle genevoise, lors de l’audition d’une dizaine de membres de comités le 15 novembre dernier dans le cadre du mandat d’évaluation confié à M. Zuin. Les personnes présentes ont ainsi pu exprimer ce qu’elles voulaient, en écho aux souhaits et besoins des habitant.es des quartiers : il s’agissait à la fois de ce qu’elles voulaient conserver du dispositif actuel, des garanties qu’elles voulaient pour, à l’avenir, continuer de définir de manière autonome un programme d’activités en adéquation avec leur ancrage dans le quartier, et ce qu’elles souhaitaient en plus…

Dans la continuité de cette audition, la FCLR a proposé à quatre membres de comité de participer à une causerie plus informelle pour aborder la traduction opérationnelle du transfert de charges sur les terrains des centres. Cette rencontre animée par les coordinatrice et coordinateurs fédératifs s’est déroulée en visioconférence le 16 novembre dernier. La suite de cet article vous en propose les principaux reflets.

Programmation à risque

La perception d’un risque d’ingérence des communes dans la programmation des activités des centres est bien présente. Quel droit de regard les communes pourraient-elles avoir ou pourraient-elles se réserver sur le contenu des activités des centres dans le nouveau cadre ? «Les communes pourraient-elles dicter aux centres le contenu de leurs programmes d’activités ?», se demande Samia*, membre d’un comité.

Cette crainte est d’autant plus prégnante pour les membres de comité d’associations de centres situés dans des communes qui comptent plusieurs centres d’ASC sur leur territoire. Dans ce cadre, les communes pourraient-elles décider de répartir les activités selon les centres et de mettre ainsi les associations au service d’une politique sociale ?

Derrière cette crainte, il y a également l’inquiétude que l’ASC ne soit rattrapée par une logique de prestations déjà observée.

Les accueils tous publics en particulier pourraient faire les frais de nouvelles priorités politiques et budgétaires au profit de l’accueil enfants. C’est ce qu’exprime Manuela, co-présidente  : «Nous avons une liberté d’action et la liberté de décider de nos activités. Mais après ? Si le comité perd de son poids, quelle marge auront les animatrices et animateurs ? Si les accueils tous publics sont supprimés, les habitant.es vont souffrir et nous avec».

Selena, présidente, évoque sa «crainte que les communes recrutent des travailleurs sociaux pour faire des diagnostics qui servent leur politique et non les habitant.es». Elle relève que les attentes sont déjà fortes dans ce sens dans certaines communes qui réalisent des diagnostics sociaux et tentent d’en imposer les résultats aux équipes d’animation. Le risque avec la nouvelle loi serait qu’elle renforce cette tendance pour «répondre à des demandes qui ne seraient pas celles de nos publics. Ce serait encore plus prégnant dans les conventions tripartites et cela détournerait nos animateurs et animatrices de leur mission, à savoir réfléchir et faire avec les habitant.es», explique-t-elle.

«Or», rappelle-t-elle aussi, «chaque niveau politique doit répondre à une demande de l’échelon plus haut, et ainsi jusqu’à l’échelon fédéral. Ainsi, les besoins de notre public spécifique [jeunes en rupture] ne sont reflétés à aucun échelon politique». Ces concepts ne sont pas ancrés dans le terrain et ne répondent alors que partiellement aux besoins.

En réaction à ces craintes, des coalitions d’associations de centres implantées dans une même commune pourraient voir le jour pour mettre en commun les intérêts des habitant.es de leur quartier respectifs et les défendre ensemble vis-à-vis de la commune.

Mais au-delà de cette piste de consolidation à l’échelle d’un terrain particulier, toutes rappellent le besoin d’inclure dans la future loi des garde-fous qui préservent l’autonomie de toutes les associations de centres d’animation socioculturelle.


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Créativité et innovation à risque

Outre les communes qui pourraient prendre un rôle opérationnel dans la conduite de programmes d’animation, de nouveaux acteurs s’engagent également dans l’ASC. L’exemple du quartier de l’étang est notamment cité. Dans ce projet de rénovation urbaine de grande ampleur, l’autorité communale a fait appel à une structure du secteur marchand pour engager un travail avec les habitant.es.

Selena estime que les associations d’animation socioculturelle devraient avoir la liberté de choisir les moyens de répondre aux besoins des publics particuliers des centres d’ASC. «C’est dans la liberté dont nous disposons pour détecter les problématiques individuelles et y répondre individuellement que réside l’innovation dont l’animation socioculturelle genevoise fait preuve.», affirme-t-elle. «C’est ce qui permet par exemple d’éviter que des jeunes brûlent des poubelles dans les quartiers. Si nous perdons cette autonomie, le travail des équipes d’animation perdra en créativité, en capacité d’innovation et en qualité de résultats», ajoute-t-elle.

Dans la continuité du risque pour la créativité, Selena évoque aussi l’impact que le transfert de charges pourrait avoir sur le métier même d’animateur et d’animatrice d’animation socioculturelle : «la partie réflexive et diagnostic fait partie du métier. Si elle est déléguée ailleurs, il se pourrait que ce ne soit plus des animateurs ni des animatrices qui travaillent dans les centres mais d’autres métiers». En corollaire, des activités qui ne répondraient pas ou plus aux besoins des habitant.es.

Cette évolution ferait assurément peser un risque majeur sur la mission de l’animation socioculturelle genevoise telle qu’elle est définie dans la Charte cantonale des centres de loisirs, centres de rencontres, maisons de quartier, jardins Robinson et terrains d’aventure du canton de Genève. «Mais aussi sur la HETS», ajoute Selena.

Financements et solidarité à risque

La dimension financière est naturellement au cœur du projet de transfert de charges. Elle s’accompagne de la crainte que les subventions baissent. «On pourrait être obligé de faire moins d’activités», dit Ketia, trésorière.

Car, si le budget global serait garanti, ce qui ne l’est pas, c’est la manière dont le futur groupement intercommunal pourrait le répartir. La gouvernance actuelle de l’ASC assure une forme de solidarité entre toutes les régions et communes du canton membres de la FASe sous l’égide de «l’État qui garantit l’équilibre dans tout le canton», explique Samia.

Dans le futur dispositif, l’argent viendra uniquement des communes et la mise en commun des fonds et la solidarité entre communes riches et communes pauvres pourraient dès lors être remis en question. Ce ne serait plus une discussion globale pour les 47 associations mais 47 discussions, une pour chaque association, avec un risque pour les financements localement.

Fonctionnements spécifiques à risque

Chaque centre d’animation socioculturelle a son fonctionnement propre, fruit de son histoire, de son ancrage particulier dans le quartier, des personnes qui s’y sont investies dans le passé, de celles qui s’y investissent aujourd’hui et et de celles encore qui le font grandir et évoluer.

Manuela s’inquiète : «Nous avons trouvé le fonctionnement associatif qui nous convient et nous pensons que c’est un bon système. Mais pourrons-nous demain continuer de fonctionner de la même manière qu’aujourd’hui ?».

Ketia se demande si «les comités se sentiront toujours aussi utiles». Elle ajoute : «Un changement de loi ne remettra pas forcément en question mon engagement personnel au sein de la MQ car j’y tiens beaucoup. Mais selon le nouveau cadre qui se mettra en place, les comités pourraient ne pas être aussi dynamiques ni aussi impliqués».

Mécanisme de décisions et démocratie à risque

En écho aux enjeux sur le fonctionnement des associations, déstructurer le dispositif actuel de l’ASC pourrait avoir des répercutions importantes sur la vie démocratique dans les quartiers. 

Ainsi Manuela rappelle que «la capacité de mobiliser les habitant.es et les citoyen.nes dans les décisions fait partie de la démocratie suisse. Si les associations et les comités perdent leur marge de manœuvre décisionnelle, les habitant.es ne verront plus d’intérêt à s’investir dans les comités».

Le projet de transfert de charges irait alors à revers de l’essence même de l’ASC associative conduite par et avec les habitant.es. Mais aussi à rebours du sens de l’histoire dans une période qui questionne et bouscule de plus en plus la démocratie représentative et invite à un nécessaire rééquilibrage vers la démocratie participative.

Ce serait un grand risque pour la cohésion sociale.


Crédit photo : Armand Khoury / Unsplash

Exiger une vision politique à long terme

Les éléments de la discussion du 16 novembre dernier mettent en lumière les nombreux questionnements que soulève toujours le projet de transfert de charges financières du canton vers les communes chez les actrices et acteurs de terrain, en l’occurrence les comités. Les perspectives actuelles ne rassurent ni sur la préservation des valeurs de l’ASC et ni sur la reconnaissance du travail réalisé au cours des 60 dernières années.

Pis, en l’absence d’une vision politique à long terme de l’animation socioculturelle pour le canton de Genève, le projet de transfert de charges paraît étriqué. Ce qui invite la FCLR et ses associations membres à se montrer ambitieuses, pour exiger non seulement des garanties sur les acquis et mais aussi plus de moyens pour développer les activités de l’ASC et son dispositif.

→ La suite de l’histoire continue de s’écrire au quotidien. Pour vous informer et garder le fil, consultez la page dédiée au projet de transfert de charges financière du canton aux communes sur le site de la FCLR.

* À la demande des personnes ayant participé à la discussion, leurs prénoms ont été modifiés et seul leur rôle au sein de leur comité d’association est mentionné dans le texte.

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