50 ans d’engagement associatif, et après ? – Une table-ronde pour «construire demain ensemble»

Lettre de la Fédération n° 24 – Juin 2021

Voilà cinquante ans que la FCLR rassemble, accompagne et représente les centres de loisirs et de rencontres. Voilà cinquante ans qu’elle valorise, cultive et défend l’ADN associatif de l’animation socioculturelle… Le 22 avril dernier, la fédération inaugurait cette année jubilaire par une table-ronde intitulée : «50 ans d’engagement associatif, et après ? Construisons demain ensemble». Autour de Pascal Schouwey, le maître de cérémonie, le Conseiller d’État Thierry Apothéloz, Vital Dorsaz, animateur représentant des professionnels à la FASe, Joëlle Libois, directrice de la Haute école de travail social (HETS), Pascal Thurnherr, président de la FCLR, et Gérard Duc, historien réalisant un travail de mémoire pour la fédération, ont revisité le passé, débattu du présent et envisagé l’avenir. Résultat ? Une heure d’immersion vivante et sans concession dans les fondements historiques, le fonctionnement et les enjeux de l’animation. Analyse avec Pascal Thurnherr.

Quelle était l’intention de la FCLR en organisant cette table-ronde ? Comment l’avez conçue et préparée ?

Nous avons commencé dès 2019 à organiser ce premier moment du 50e anniversaire de la FCLR. La table-ronde était un des éléments d’un évènement beaucoup plus grand pour lequel nous imaginions 300-350 personnes dans une grande salle, avec un apéritif dînatoire, de la musique, etc. La table-ronde devait être le «moment sérieux» d’une soirée festive. Au cours de l’année 2020, on a compris qu’on ne pourrait pas organiser une grande soirée festive mais qu’on pourrait conserver la table-ronde. On s’est alors dit qu’on allait mettre une partie des moyens initialement prévus pour la soirée festive dans une réalisation audiovisuelle de qualité pour la table-ronde. Nous avons été soutenus pour cela par des membres de la FCLR qui travaillent dans le domaine.

De gauche à droite : Gérard Duc (historien), Thierry Apothéloz (Conseiller d’État), Vital Dorsaz (animateur), Pascal Schouwey (modérateur de la table-ronde – de dos), Joëlle Libois (directrice de la HETS), Pascal Thurnherr (président de la FCLR)
De gauche à droite : Gérard Duc (historien), Thierry Apothéloz (Conseiller d’État), Vital Dorsaz (animateur socioculturel), Pascal Schouwey (modérateur de la table-ronde – de dos), Joëlle Libois (directrice de la HETS), Pascal Thurnherr (président de la FCLR)

En revanche, le contenu n’a pas changé par rapport à l’idée initiale. Le titre dit tout : nous voulions à la fois faire le point et nous projeter. Avec Pascal Schouwey qui a modéré la soirée, nous avons donc construit le débat en trois parties – passé, présent, futur – sans occulter ni passer comme chat sur braises sur les éléments de tensions. Car l’histoire de l’animation et de la FCLR est une histoire de lutte et de tensions, aujourd’hui encore avec Tipee par exemple.
Pendant la table-ronde, tout le monde a joué le jeu. Malheureusement, les communes n’étaient finalement pas représentées car Anne Hiltpold, vice-présidente de la FASe et conseillère administrative de Carouge, a dû annuler sa participation à la dernière minute.

Outre le panel, le débat était ponctué de capsules vidéos de plusieurs figures tutélaires de la FCLR. Qui étaient-elles ?

En effet, nous avons sollicité Eric Maier, Katia Merlino et Bernard Dosso, trois ancien·ne·s président·e·s de la FCLR. Selon ce qu’ils ou elle disaient, il nous a semblé que leurs témoignages faisaient de bonnes transitions d’un thème à l’autre du débat.

Trois ancien·ne·s président·e·s de la FCLR: Eric Maier, Katia Merlino, Bernard Dosso
Trois ancien·ne·s président·e·s de la FCLR: Eric Maier, Katia Merlino, Bernard Dosso

Le titre de la table-ronde dit bien l’intention. Et effet, les tensions n’ont pas été éludées ce qui a produit un débat assez vigoureux…

C’est vrai mais nous étions toujours dans le dialogue. C’était aussi l’intention : «Construisons demain ensemble». Du côté de la FCLR, nous nous sommes toujours engagé·e·s dans cette construction partenariale. Avec le canton, s’il daigne rester partenaire, avec les communes, avec le personnel, nous sommes toujours dans cette co-construction de l’animation, car nous savons que l’animation socioculturelle (ASC) est en construction permanente.

Nous voulions associer la HETS, à travers Joëlle Libois, car il nous semble que la Haute école est un acteur de l’ASC qui n’est pas assez associé aux débats sur ce qu’il se passe au sein de la FASe, qu’elle n’est peut-être pas non plus assez consciente de l’importance et de l’influence qu’elle a sur la manière dont l’ASC évolue.

Nous avons identifié depuis assez longtemps – pas forcément dans la formation elle-même – que les étudiant·e·s de la HETS manquaient de points de repère et d’éléments pour construire leur relation avec une association et son comité. Ils et elles sortent de l’école en étant insuffisamment au point sur la manière de se mettre au service du projet associatif, ce qui affaiblit considérablement la vie associative dans les centres. C’est un point sur lequel nous avons collectivement besoin d’évoluer ces prochaines années. Si, au niveau de la FCLR, nous arrivons à collaborer plus étroitement avec la HETS pour exprimer les besoins des associations, et si nous identifions des animateurs et animatrices qui ont développé des outils au cours de ces décennies pour bien collaborer avec des membres de comité bénévoles et que cette expérience peut être transmise via le cursus de la HETS, que ce soit en formation initiale ou en formation continue, on aura fait un énorme pas vers le développement de la vie associative.

Il y aurait d’autres éléments à travailler pour que se développe la vision que nous prônons, c’est-à-dire une équipe au service de l’association, un comité et une équipe qui travaillent main dans la main pour faire évoluer le projet associatif et le programme d’activités, qui montent des évènements, etc. Ce modèle est beaucoup trop rare aujourd’hui. Or, il y a un enjeu énorme autour de ça, à savoir le projet démocratique. Car dans un quartier, quand ce modèle fonctionne bien, l’idée démocratique progresse dans l’esprit des habitant·e·s qui voient clairement que cela vaut la peine de s’investir, de donner son avis et de rêver parce que les autorités, à travers les maisons de quartier et les centres de loisirs, leur donnent les moyens de vivre leurs rêves, de faire évoluer les aménagements urbains ou l’offre de loisirs, donc d’être des actrices et acteurs de changement social.

C’est pour cela que la présence de la HETS à la table-ronde était primordiale.

De gauche à droite : Joëlle Libois et Pascal Thurnherr
De gauche à droite : Joëlle Libois et Pascal Thurnherr

De ce point de vue-là, la table-ronde a-t-elle abouti à des perspectives concrètes ?

Oui, nous avons eu un échange très intéressant en fin de table-ronde qui concluait qu’il serait bien que la HETS et la FCLR travaillent davantage ensemble pour voir comment améliorer à la fois le cursus initial et la formation continue. Nous allons reprendre contact avec la HETS à la rentrée prochaine pour réfléchir à la manière de concrétiser ces bonnes intentions.

Pour la FCLR aussi, c’est important de travailler dans le concret, c’est-à-dire d’aller au-delà des textes et des résolutions. Nous produisons des documents porteurs de beaucoup de sens. Mais on ne retrouve pas suffisamment ces intentions sur le terrain. Ces prochaines années, nous devons donc trouver des points d’entrées, que ce soit au niveau de nos membres, ou avec les professionnel·le·s, la HETS et le Secrétariat général de la FASe pour améliorer la relation de travail entre les équipes et les comités dans les centres où ça ne fonctionne pas bien, où il n’y pas de véritable développement démocratique au sein de l’association, où les AG mobilisent peu les membres. L’enjeu est là : si on veut défendre l’associatif, il faut des AG qui débattent, il faut des habitant·e·s qui s’investissent réellement dans les programmes et des équipes qui soient capables sur le terrain d’embarquer avec elles et dans leur travail les membres de comités, les membres de l’association et au-delà, les habitant·e·s.

Pourquoi cela semble si compliqué de développer la vie associative dans les centres ?

Nous nous heurtons à des gros obstacles aujourd’hui. Quand nous voyons le nombre d’équipes d’animation qui se tournent plus volontiers vers leur coordinateur ou coordinatrice région FASe plutôt que vers leur comité, c’est clair qu’il y a un problème. C’est aussi pour cela que le Secrétariat général de la FASe est l’un des acteurs de changement. Il faudrait par exemple qu’il dise aux équipes d’animation que l’un des critères d’évaluation de leur boulot, c’est l’état de santé de la vie associative. Or, je n’ai jamais entendu parler d’un coordinateur ou d’une coordinatrice qui ait demandé à une équipe d’animation : « il n’y avait pas grand-monde à votre AG. Que faites-vous pour que votre association soit vivante ?».

Le problème aujourd’hui, c’est que la vie associative dans les maisons de quartier ou centres de loisirs est en train de dépérir. Pas par malveillance mais par négligence. Parce que ce n’est pas une priorité. Or, la vie associative, c’est une plante fragile. Si on ne s’en occupe pas comme il faut, elle dépérit.

L’échange que nous avons eu avec Joëlle Libois pendant la table-ronde est l’un des aspects qui nous permettrait ces prochaines années de mieux prendre soin de la vie associative, Mais ce n’est pas le seul.

Justement, parmi les autres enjeux, la table-ronde a abordé la question brûlante d’un possible désengagement de l’État.

L’avenir nous dira ce qu’il en est… Mais si ce projet de désengagement va de l’avant comme on l’entend actuellement, car «on» écoute en priorité les gens qui veulent que l’État se désengage et se débarrasse de coûts, pas seulement celui de la FASe, il va falloir qu’on trouve des moyens pour qu’une «fondation bis» financée uniquement par les communes continue de considérer la vie associative comme une priorité. Là-dessus, j’ai des craintes car, par le passé, nous avons vu que cette bienveillance vis-à-vis de la vie associative et la volonté de la développer sont très variable d’une commune à l’autre, et qu’elles dépendent également à la fois de la vision des magistrat·e·s et des chef·fe·s de service. On a vu, encore récemment, comment des changements de magistrat·e·s peuvent provoquer des tensions très fortes. Tout le monde n’est pas bienveillant à l’égard des associations parce que les associations ne sont pas considérées comme fiables, elles n’obéissent pas, elles sont des empêcheurs de tourner en rond, elles testent des choses, donc elles commentent des erreurs, etc. Mais au nom du projet global, c’est un risque que le politique doit assumer !

Dans l’une de ses premières interventions pendant la table-ronde, Thierry Apothéloz rappelait que les élu·e·s changeaient et qu’ils et elles avaient en effet un apprentissage à faire de l’associatif…

Certain·e·s élu·e·s ont des expériences associatives dans le social, le sport, la culture. Et d’autres n’en ont aucune et ne se rendent pas compte que l’association, c’est fragile et que si on la déstabilise trop en s’ingérant, cela peut démotiver les membres. Une commune qui subventionne une association est non seulement responsable de la bonne gestion qu’elle fait des deniers publiques mais aussi de son fonctionnement et de son autonomie dans le respect des articles 60 et suivants du Code civil. La commune a la responsabilité de se comporter vis-à-vis de l’association de manière à préserver cette autonomie car c’est une condition majeure pour maintenir la motivation des personnes qui s’engagent. Si les membres ne font qu’exécuter une politique municipale, cela n’a pas de sens.

Thierry Apothéloz
Thierry Apothéloz

Au cours de la table-ronde, Thierry Apothéloz, quant à lui, a exprimé son soutien à la vie associative et à ses valeurs au service de la cohésion sociale.

Oui, dans les discussions, nous sommes sur la même longueur d’onde. La difficulté pour nous, c’est de faire nos preuves sur le terrain, et pour cela il faut aussi tenir compte des conditions et de l’environnement dans lesquels nous devons faire nos preuves. Sur le papier, tout le monde est favorable aux associations qui jalonnent le territoire et fédèrent les habitant·e·s autour de projets qui leur permettent de s’exprimer. Mais tout le monde n’est pas prêt aux mêmes sacrifices ni aux mêmes investissements pour que cela fonctionne et tout le monde n’a pas forcément bien compris le rôle de l’autonomie associative dans ce travail-là.

Il a aussi été question du rôle d’employeur. En quoi était-ce important d’en parler ?

Cette notion est co-substantielle de la motivation des membres et de la responsabilité des comités. En cas de désengagement de l’État, c’est l’un des points sur lequel nous devrons dialoguer. Le désengagement imposera une révision de la loi J 6 11. Si nous arrivons, dans le cadre de ce débat, à nous mettre d’accord avec les communes autour d’un projet qui garantisse l’autonomie associative et préserve le rôle d’employeur des associations, engage davantage la HETS au niveau de la formation pour que les animatrices et animateurs aient des compétences renforcées et soient mieux à même de se mettre au service de l’associatif, le désengagement de l’État ne nous fait pas peur.

Mais le risque est que cet éventuel désengagement nous livre à des politiques communales qui diffèrent d’une commune à l’autre et à une temporalité dépendante du rythme électoral.

Or, dans l’animation socioculturelle, nous avons besoin de travailler dans la continuité et sur la durée. Nous ne pouvons pas être à la merci des virages politiques.

La temporalité associative et la temporalité politique sont en effet très différentes. L’association se construit dans la durée, dans la création du lien de confiance, dans l’apprentissage du vivre et du faire-ensemble…

Oui, et aussi dans l’aléatoire, car la vie associative est très aléatoire. Lorsqu’on s’engage dans un comité ou qu’en tant qu’autorité, on soutient une association, par exemple financièrement, on doit accepter cette composante aléatoire et expérimentale. L’ASC le sera toujours. Qu’on le veuille ou non, elle évolue toujours et sera toujours un champ d’expérimentation sociale. Or qui dit expérimentation dit incertitude et aussi échec. On apprend alors de nos erreurs et on remet l’ouvrage sur le métier.

Par essence, l’ASC est instable car elle est en permanence en train d’expérimenter et d’intégrer de nouveaux acteurs, par exemple au comité, dans les activités, etc.

Cette dimension-là est un enjeu depuis toujours : nous sommes confronté·e·s à des interlocutrices et interlocuteurs, que ce soit dans les communes, au Secrétariat général de la FASe et dans une moindre mesure au canton, qui ont de la peine à accepter cette fragilité des associations et la nature aléatoire de ce qu’on fait sur le terrain.

La table-ronde a-t-elle répondu à vos attentes ? Que diriez-vous aux personnes qui n’ont pas pu la suivre en direct pour les inciter à la visionner en replay ?

Oui, l’objectif que nous nous étions fixé est très largement atteint ! Outre les enjeux actuels et les défis futurs, toute la partie historique présentée par Gérard Duc était très éclairante. Il a été d’une grande éloquence et est parvenu à très bien synthétiser les 50 ans de la FCLR. C’est très éclairant et c’est un très bon résumé de ce qu’il faut savoir et comprendre de l’ASC genevoise.

Donc, par exemple, si vous venez de rejoindre un comité ou êtes un jeune animateur ou une jeune animatrice, et que vous voulez appréhender un peu mieux l’environnement institutionnel de l’ASC genevoise et mieux comprendre dans quoi vous avez mis les pieds, regardez cette table-ronde ! En un peu plus d’une heure, vous aurez des éléments historiques et vous saisirez les champs de tension actuels et les projections !

Quelle est la suite des festivités du 50e anniversaire de la FCLR ?

Le prochain rendez-vous est fixé le 25 septembre avec «Canton Danse !». Cet évènement sera pour nous un moment très important : à la fois un moment festif, et nous en avons toutes et tous grand besoin, et une vraie démonstration d’unité et de cohésion des associations membres de la FCLR. Nous avons besoin de faire cette démonstration vis-à-vis de nos partenaires et plus largement du monde politique et institutionnel genevois. Pour l’organiser, nous avons pu compter sur le soutien précieux d’Ulysse Sanchez, étudiant à la HETS qui a fait son stage de 3e année à la FCLR.

Puis le 21 octobre, nous vernirons l’ouvrage de Gérard Duc sur l’histoire de la FCLR. Enfin, le 18 novembre, un forum sur l’autonomie associative viendra clore cette année jubilaire.

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