Les 50 ans de la FCLR : l’autre mémoire de l’animation socioculturelle

© G. Duc

2021 marque les 50 ans de la FCLR, un tel jubilé se fête ! Plusieurs projets en préparation jalonneront toute l’année, dont celui d’un ouvrage retraçant l’histoire de la Fédération. Encore un livre d’histoire sur l’animation socioculturelle (ASC) genevoise ? Et bien oui, mais sous un autre angle parce que comme toute histoire, celle-ci est complexe et multiple.

Gérard Duc est historien indépendant depuis une quinzaine d’années. Au sein de Pro Histoire, il réalise des histoires urbaines, de communes ou d’associations. Egalement membre du comité de la maison de quartier de Saint-Jean, c’est à lui que la FCLR a fait appel pour écrire son histoire. La première étape de sa mission, Gérard Duc l’a consacrée à éplucher les archives de la Fédération. Il nous raconte sa démarche et lève le voile sur quelques-unes de ses toutes premières analyses….

Quel est l’enjeu de ce projet ?

L’objectif est de toucher un public large, c’est à dire pas seulement les politiques ou les enseignant.e.s de la HETS, mais aussi les représentant.e.s des communes, les actrices et acteurs des quartiers, les adhérent.e.s des associations de centres de loisirs, etc.

Il s’agit donc de partir d’une histoire assez institutionnelle et de la rendre intéressante pour ce public. Nous voulons produire un ouvrage faisant une place aussi large que possible aux images. Un appel à photos a d’ailleurs été lancé aux centres.

Il existe déjà des ouvrages sur l’histoire de l’animation socioculturelle genevoise. En quoi votre démarche est-elle différente ?

Il existe en effet déjà des publications sur l’histoire de l’animation socioculturelle dans le canton, comme le récent ouvrage collectif Terre commune. 60 ans d’action socioculturelle à Genève qui retrace les grandes étapes de cette histoire en apportant le vécu des nombreux acteurs et actrices qui y ont participé. Mais jusqu’à maintenant, il n’existe aucun document fouillé sur l’histoire de la FCLR et sur ce qu’elle a apporté à l’animation socioculturelle genevoise. Or, nous sommes à un moment charnière de l’ASC qui pose la question de l’autonomie des associations, soit la question qui fait toute la raison d’être de la « Fédé ». Et, ce qui est intéressant, c’est que dans toute l’histoire de la FCLR, depuis sa création en 1971, on semble avoir été en permanence à un tournant autour de cette question.

Mon travail sur les archives de la FCLR ne cherche pas à révolutionner l’histoire déjà bien connue de l’ASC, ni à remettre en question les grandes étapes qui la jalonnent, mais à la compléter avec le rôle joué par la FCLR. À chaque changement d’étape, on passe d’un équilibre à un autre. Ce qui m’intéresse, c’est de creuser les articulations entre les étapes, de les analyser, d’identifier les tensions pour expliquer les ruptures et les passages d’un équilibre à l’autre, en mettant en lumière le rôle qu’a joué la FCLR.  

Justement, rappelez-nous ces grandes étapes…

La première étape est la période qui précède la création des premiers centres de loisirs entre la seconde guerre mondiale et le milieu des années 50. A ce moment-là, ce sont notamment les Unions chrétiennes qui assurent l’animation destinée aux enfants jusqu’à la création de la Maison des jeunes à Saint-Gervais en 1956.

La deuxième grande phase s’étend jusqu’au milieu des années 70 et connaît son point d’orgue en 1971 avec la création de la FCLR (cf. photo du PV ci-dessous). Cette période est marquée par le mouvement de contestation sociale de mai 68, très présent dans les maisons de quartier. C’est l’époque de la grande politisation des équipes d’animation et de fortes tensions entre les centres et les interlocuteurs communaux. On ne compte plus les maisons de quartier dont les subventions sont suspendues, ni celles qui sont fermées par les autorités municipales. La FCLR est née dans ce tumulte et ces tensions qui marquent un antagonisme entre deux visions de l’ASC : celle des comités et des animatrices et animateurs qui voyaient en l’ASC un mouvement d’émancipation et d’autonomisation, et celle des communes (en particulier de droite) qui considéraient l’ASC comme l’encadrement éducatif des jeunes pendant leur temps libre.

Procès-verbal de l’AG constitutive de la FCLR (1971)
© G. Duc

La troisième étape débute en 1976, au moment où est adopté le Règlement du Conseil d’État relatif au centres de loisirs et de rencontres. Ce texte reconnaît l’organisation des centres de loisirs avec des comités de gestion composés d’habitant.e.s bénévoles. Or, ce n’était vraiment pas gagné d’avance car les communes à ce moment-là défendaient plutôt l’idée d’avoir des fondations communales (avec des conseils de fondations nommés par les conseils municipaux). Finalement, c’est l’option d’une gestion par des associations qui a été préférée. Cette étape va durer jusque dans les années 90 et la FCLR va y jouer un rôle central car c’est elle qui fait office de secrétariat de ce qui va devenir la Commission cantonale des centres de loisirs (CCCLR), une instance quadripartite au sein de laquelle siégeaient des représentant.e.s de la FCLR, de l’État, des communes et des équipes d’animation à travers les syndicats.

C’était donc une sorte de victoire pour la FCLR…

Oui, car la Fédération s’est toujours battue pour une animation autonome. En plus, elle accueille le secrétariat de la Commission. Mais cela s’avère un cadeau empoisonné car la FCLR s’est alors retrouvée à la fois du côté de l’État, en assumant ce secrétariat, et du côté des associations en défendant l’autonomie de gestion associative, alors que dès les années 80, le new public management est introduit et avec lui le début des contractions budgétaires. La période est donc délicate pour la FCLR. Les années 80 sont finalement un peu une traversée du désert pour la FCLR. A cette époque, on parle souvent même de saborder la « fédé » et d’abandonner le combat. Certain.e.s iront même jusque se dire qu’il faut renoncer aux financements publics pour pouvoir rester autonomes.

Que s’est-il passé alors ?

On a de nouveau changé d’époque en 1998 lorsqu’une fondation de droit public, la FASe, est créée pour remplacer la CCCLR. L’institutionnalisation de l’ASC est établie, elle fait partie des politiques publiques. Mais cela pose à nouveau beaucoup de questions autour de d’autonomie des associations. Cette histoire est encore en construction aujourd’hui.

Pourriez-vous nous donner un exemple du rôle que la FCLR a joué dans ces ruptures ?

Oui, je pense par exemple aux années 60-70 jusqu’à l’arrivée d’un nouvel équilibre en 1976. Cette époque est marquée par des tensions extrêmes avant la reconnaissance d’une animation essentiellement autonome. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment on est passé de cet équilibre à l’autre. 

Dans les publications sur cette période, on a surtout insisté, avec raison, sur le rôle d’un conseiller d’État, André Chavannes qui est parvenu à imposer sa vision des choses, à savoir l’autonomie des associations. La seule brochure de la FCLR de cette époque évoque le règlement favorable à la vision de la FCLR alors que le rapport du Conseil d’Etat ne se positionnait pas sur le modèle associatif ou de fondations communales et que les partis, surtout de droite, étaient favorables à des fondations communales. A partir des archives de la FCLR, j’ai donc essayé de voir si la Fédération avait pesé sur cette décision et il semble bien que la FCLR ait même joué un rôle moteur. En effet, dans les archives, on trouve un document travaillé par la FCLR à partir de fin 1974, alors qu’il semblait évident à ce moment-là qu’on s’orienterait vers l’option des fondations communales. La FCLR, un peu paniquée, a pensé que si on s’orientait vers des fondations communales, ce serait la fin de sa vision de l’ASC. Elle décide donc d’établir un projet de loi sur les centres de loisirs. Dans un carton d’archives, par hasard, j’ai trouvé ce projet de loi qui a été envoyé en mai 1976 à André Chavannes, qui l’a fait travailler par ses services. Et, fait encore plus intéressant, j’ai trouvé dans ce même carton une version retravaillée par les services de l’État. On y avait tracé à la main le mot « loi » pour mettre à la place « règlement » et on avait modifié quelques articles. Dans cette version biffée par le DIP (cf. document à gauche de la photo ci-dessous), on avait par exemple ajouté que le secrétariat de la Commission serait entre les mains de la FCLR. Ce projet de loi, porté par la FCLR, est donc le texte dont va directement résulter le règlement de 1976 adopté par le Conseil d’État (cf. document à droite de la photo ci-dessous).

A gauche : le projet de loi de la FCLR biffé par le DIP. A droite : le règlement adopté par le Conseil d’Etat © G. Duc

C’était un mouvement un peu désespéré. Quand on relit les PV des AG entre fin 1974 et 1976, on perçoit un activisme de fin de règne alors que la FCLR n’a que cinq ans. On sent que soit ça passe, soit ça casse.

Comment explique-t-on que le Conseil d’État ait finalement accepté ce règlement ? Trouve-t-on des traces de cela dans les archives de la FCLR ?

On n’a pas de pistes pour expliquer cela. Les discussions entre André Chavannes et la FCLR étaient permanentes. On sait qu’il avait une force de persuasion. Il a sûrement dû convaincre ses collègues que la FCLR était une force stabilisatrice après le tumulte de la période d’avant, et leur montrer que l’idée d’avoir une fédération qui gère les centres était une meilleure solution plutôt que de donner cette responsabilité aux communes qui se seraient heurtées à une très forte résistance de la part des équipes d’animation. Mais, il y a beaucoup d’histoire de transmission orale qui est difficile de faire resurgir.

Ce qui est surprenant, c’est que le Conseiller d’État soit passé d’un projet de loi proposé par la FCLR à un règlement du Conseil d’État : cela a permis d’éviter le travail législatif, le passage par le Grand Conseil, et un enlisement.

Comment cet épisode s’inscrit-il dans le contexte de l’époque ?

Aujourd’hui, on parle peu des maisons de quartier dans la presse. Mais à l’époque, elles y étaient très présentes notamment par les actions qu’elles entreprenaient et qui n’étaient pas toujours bien perçues par la population. La FCLR publiait des communiqués de presse à la fois pour défendre l’autonomie associative et servir de butoir sur lequel se reposer lors de tensions. Les associations bénéficiaient donc d’une autonomie mais soigneusement encadrée par la loi. La FCLR était un partenaire sérieux qui développait une communication, telle la fête aux Palais des Expositions en 1975, pour promouvoir les activités des centres de loisirs et faire du prosélytisme sur ses associations et leur rôle dans les quartiers. Cette idée d’autonomie a fait son chemin dans la presse et était assez bien vue. Lorsqu’on relit les articles parus dans la Suisse et la Tribune de Genève, cette solution est défendue car on se dit que si on ne laisse pas les associations s’organiser librement, les habitant.e.s  s’organiseront de toute façon de leur côté, et potentiellement dans l’anarchie. On préférait donc cette autonomie encadrée par la FCLR à des fondations communales, doublées d’associations qui se développeraient dans l’anarchie.

Est-ce qu’on pourrait voir cela comme une manière d’acheter la paix sociale ?

Oui. C’est ce qui est intéressant : laisser une marge associative, c’était une façon d’avoir la paix sociale après la période de fortes tensions des années 70 et d’amortir les tensions du début des années 80.  Mais il y a aussi la question des finances publiques. Le discours du « qui paie commande » est présent dès les années 70. En période de forte tension budgétaire, on restreint la marge associative, sous prétexte d’efficacité.

La configuration de l’ASC genevoise est un équilibre très précaire car les centres sont entièrement financés par les pouvoirs publics et en même temps, ils sont censés avoir une autonomie et pouvoir organiser par exemple des débats qui peuvent être gênants pour les autorités. C’est ce qu’on leur reprochait dans les années 70 et ils sont toujours dans ce paradoxe.

Revenons à votre démarche d’historien. De quelle manière travaillez-vous concrètement avec les archives ?

Je travaille à partir d’un corpus très riche et assez complet de documents. Malgré les déménagements nombreux pendant les premières années de la FCLR, la documentation était plutôt bien organisée et bien conservée ! Par exemple, j’ai retrouvé la série complète des procès-verbaux des Assemblées générales depuis 1971, y compris les documents annexés. Il y avait aussi des cartons entiers de documents sur les grandes fêtes organisées en 1975 et 1983, des cartons de coupures de presse des années septante… Parmi tout ce corpus, j’ai photographié entre 5’000 et 6’000 documents.

Avec cela, j’essaie de produire une réflexion, une histoire qui se construit petit à petit. Pour une période donnée, je travaille toute la documentation disponible, j’en tire l’ensemble de la substance et je commence à rédiger en prenant un maximum de documents pour être le plus pointu possible. Mon but est de regarder comment on arrive à établir un nouvel équilibre. Le résultat ne sera donc pas une simple description, mais une analyse des processus de décision pour produire une histoire dynamique. Cette histoire est celle de débats d’idées. Elle doit s’inscrire dans les transformations socio-économiques du canton et les besoins qu’elles ont générés. A l’image de l’urbanisation qui a conduit à la création des jardins Robinson et des terrains d’aventures, entre autres pour répondre au besoin de vert et de nature dans les quartiers.

Les festivités du 50: A vos agendas !

Le collectif du 50e animé par la FCLR a établi un premier programme des festivités qui s’étaleront d’avril à novembre 2021 (sous couvert des règlements sanitaires en lien avec la pandémie de Covid-19).

Petit tour d’horizon :

  • 22 avril : inauguration officielle des festivités du 50e anniversaire de la FCLR. Evènement (table-ronde) dynamique et participatif en visioconférence
  • Septembre : « Canton danse », un temps fort symbolique planifié dans tous les centres le même jour autour du thème unique et mobilisateur de la danse
  • Octobre : vernissage de l’ouvrage de Gérard Duc sur l’histoire de la FCLR
  • Novembre : forum sur l’animation socioculturelle

Ce programme fournira de multiples occasions de faire parler de l’animation socioculturelle genevoise et du rôle des centres dans la production de lien social dans les quartiers. La FCLR sollicitera régulièrement les centres pour ces différents évènements !

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