Transmettre le « fait associatif »

© Claudio Schwarz Purzlbaum (unsplash)

Lettre de la Fédération n° 23 – Avril 2021

L’entrée dans cette deuxième décennie du troisième millénaire (dit comme cela, oui, c’est un peu vertigineux…) bouscule à bien des égards les actrices et acteurs de l’action sociale. Les suites de la crise sanitaire, l’aggravation des précarités et des fragilités et les profonds bouleversements sociétaux actuels et à venir soulèvent en effet d’importants défis en termes de cohésion sociale. Au premier plan du vivre-ensemble dans les quartiers, les associations de centre d’animation socioculturelle s’interrogent d’autant plus que s’annonce dans les cinq à huit ans un renouvellement important des équipes d’animation avec le départ à la retraite de toute une génération d’animatrices et d’animateurs et que se pose la question de la transmission de tout un savoir-faire de terrain. Il y a quelques temps, cette newsletter effleurait ce passage de témoin à travers les regards croisés de « jeunes » et d’« ancien·ne·s ». Allons plus loin. Les associations ont besoin d’animatrices et d’animateurs « bien formé·e·s », c’est à dire non seulement « capables de mener des projets et de gérer une maison de quartier », mais sachant aussi « se mettre au service du projet associatif ». Comment, diplôme en poche, se projette-t-on en tant que jeune professionnel·le dans un centre d’animation socioculturelle ? Comment comprend-on sa dimension associative ? Comment s’approprie-t-on cela sur les bancs de la Haute école de travail social (HETS) de Genève ? Quelques éclairages croisant cette fois les regards de trois étudiant·e·s de troisième année et deux enseignant·e·s de la HETS.

« Gérer la maison de quartier… » « Embarquer les habitant·e·s d’un quartier d’horizons différents, de langues maternelles différentes, d’opinions différentes et les amener à porter ensemble des projets… »  « Contribuer à la vitalité et à la fécondité de l’association… » Les missions qui attendent les futur·e·s animateurs et animatrices diplômé·e·s sont nombreuses et plurielles. Sans doute pas uniques ni uniformes d’un centre à l’autre. Comment forme-t-on des professionnel·le·s aptes à répondre à ces attentes multiples et pour le moins différenciées ?

« Ce que j’entends pour commencer, c’est la notion de gestion d’un projet ou d’une MQ », remarque Sophie Guadagnini, chargée d’enseignement vacataire à la HETS, directrice ajointe du Laboratoire d’Ynnovation Sociale et formatrice par ailleurs au développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités. « On voit bien ici comment la nouvelle gestion publique est venue infiltrée le secteur associatif, parfois au détriment du projet de l’association et des forces mises au service du public. Or, savoir gérer un équipement, tel qu’une MQ, ne dit pas comment on rassemble, comment on fédère, ni comment on crée des espaces de dialogue ouverts au plus grand nombre possible, y compris aux populations les plus silencieuses. »

Une posture…

Stéphane Michaud, maître d’enseignement HES à la HETS, vient de l’éducation populaire et de l’éducation nouvelle. Dans ses enseignements, il s’attache à la manière de mettre du sens dans ce que ses étudiant·e·s et lui vivent ensemble, non seulement en termes de « choses à apprendre en lien avec le métier » mais aussi, et avant tout, à débattre des valeurs qui les animent. « Je me fais un point d’honneur d’essayer de reconnecter les étudiant.e.s aux valeurs porteuses de sens donc d’engagement, de militance, voire d’activisme », explique-t-il. « Je réfléchis avec elles et eux sur ce qui fait qu’on est motivé·e pour se lever le matin et aller travailler, au-delà du salaire qui tombe chaque mois. » Et de rappeler qu’un métier est toujours plus que la somme des compétences nécessaires pour l’exercer : un métier doit être habité, incarné.

L’école est aussi le lieu pour donner aux étudiant·e·s de la matière à penser afin qu’ils et elles soient acteurs et actrices de leur formation et capables de trouver par eux/elles-mêmes des réponses aux questions qui leur seront posées. C’est cette même posture que les futur.e.s professionnel·le·s devront ensuite transposer dans la relation avec les personnes qu’ils et elles accompagneront sur le terrain, pour leur donner du pouvoir d’agir.

… et des « soft skills »

Pour Sophie Guadagnini, exercer le métier d’animatrice ou d’animateur socioculturel requiert des savoir-faire (hard skills) et des savoir-être (les compétences émotionnelles ou soft skills), deux facettes d’une même pièce. Les professionnel·le·s doivent être « en capacité de maîtriser des outils méthodologiques pour faire une bonne gestion mais aussi pour faire tout un travail de mobilisation et de création de conditions propices à la participation des gens dans un projet qui fait sens pour eux ». Les soft skills, c’est donc d’abord d’apprendre à se connaître. « C’est justement l’invitation des trois ans de la formation à la HETS », rappelle-t-elle. Chaque temps de formation pratique est précédé d’un temps de bilan où chacun·e fait le point sur ses compétences et son développement personnel, et interroge ses forces, ce qu’il faut renforcer ou expérimenter plus intensément. « C’est la grande plus-value proposée aux étudiant·e·s. Et c’est aussi ici que s’exprime la diversité des parcours en fonction des terrains que chacun.e va découvrir ». Car certain·e·s étudiant·e·s vont trouver leur voie, s’engager pleinement dès le premier terrain, tandis que d’autres auront besoin de plus de temps et d’acquérir plus de connaissances.

En interrogeant les étudiant·e·s sur le « foyer mythologique »[1] des professions du social « dans un monde qui est tout sauf socio-centré », Stéphane Michaud les amène aussi à poser un regard sur leur appétence à faire ce métier. « En rappelant que le travail social est l’une des actions professionnelles parmi les plus importantes dans la cité en ce sens qu’elle essaie de remettre de la dignité humaine et de la justice sociale, on peut provoquer une étincelle : on sent bien qu’on n’est pas dans un travail juste utilitaire. »

Le choix du collectif, du partage et de l’écoute

Du côté d’Ananda Marthaler, de Kendra Catillaz et d’Ulysse Sanchez, les trois étudiant·e·s de troisième année interviewé·e·s, leur motivation pour le travail social, et plus spécifiquement pour l’animation socioculturelle, est claire.

« Ce qui m’intéressait en commençant la HETS, c’était le collectif et le fait de travailler avec des outils de médiation culturelle », explique Ananda Marthaler, actuellement en stage à la MQ des Acacias. « Depuis, d’autres éléments se sont encore ajoutés, comme le fait de travailler avec les habitant·e·s et les jeunes, de faire de la participation, de voir comment une équipe d’animation travaille avec un comité, la FASe, la FCLR. Dans le stage, je découvre des valeurs qui me plaisent. »

Ulysse Sanchez, en stage à la FCLR, n’a pas choisi la filière ASC par hasard. « J’ai besoin de contact pour me sentir épanoui. » Pour combler son besoin de monter des projets qui fassent sens au contact des autres, la formation à la HETS, pratique et expérientielle, s’est imposée. Un stage pré-HES au centre de loisirs de Lancy-Marignac (devenu depuis la MQ Sous l’Etoile) a confirmé son envie de travailler dans l’animation.

Après l’Ecole de culture générale, Kendra Catillaz, en stage au jardin Robinson d’Onex, pensait plutôt faire l’école de la petite enfance, puis s’est orientée vers la HETS qui offrait plus d’options. Avant d’y entrer, un stage à la Villa Yoyo lui a fait découvrir l’animation socioculturelle (ASC) et confirmé son choix pour la HETS. Ce qui l’anime ? Les liens, la connexion, le partage dans les deux sens, par exemple quand elle fait de nouvelles découvertes par le biais des enfants avec lesquels elle travaille.

Embarquer les habitant·e·s : pourquoi, comment ?

Les futur·e·s animateur et animatrices se projettent déjà dans leur rôle. Que ce soit auprès des ados, des enfants ou du tout public, « notre rôle, c’est de donner des impulsions, montrer les possibles pour aider les gens à mettre des mots sur ce qu’ils veulent », explique Ananda Marthaler. « Ce qui est important, c’est d’être à l’écoute tous azimuts, à la fois à travers des espaces dédiés mais aussi en étant attentif aux signaux du quotidien qui donnent des pistes d’analyse. Par exemple quand des parents arrivent systématiquement en retard », ajoute Ulysse Sanchez. « Nous sommes seulement des facilitateurs et facilitatrices : l’actrice principale, c’est la population. »

Se sentent-ils et elles outillé·e·s pour le faire ? Pour Ulysse Sanchez, l’outil privilégié, c’est l’autre et le contact avec les gens. La HETS fournit des outils très théoriques. « A nous ensuite de les adapter à la situation. Je me sens particulièrement outillé pour le faire grâce aux personnes que j’ai rencontrées dans la formation et dans les centres où j’ai fait mes stages. Ces personnes m’apprennent à aller au-delà de la théorie et à développer une posture professionnelle. » Kendra Catillaz s’attache à observer la population, à écouter ses envies et ses besoins. « C’est plus facile d’embarquer les gens quand on part de leurs demandes plutôt que de leur imposer des projets. C’est à travers la discussion et l’écoute qu’on va comprendre leurs besoins, leur quotidien. »

Ulysse Sanchez réalise que les différents stages qu’il a fait lui ont permis de mesurer la diversité des problématiques selon les quartiers. Chaque endroit lui a fait prendre conscience de l’importance du travail de proximité de l’équipe d’animation avec les habitant·e·s pour faire émerger leurs idées et mettre en place des stratégies qui répondent à leurs attentes.

Ananda Marthaler se réjouit elle-aussi de son stage aux Acacias car il lui permet de beaucoup travailler sur le développement du pouvoir d’agir. Par contre, dans le cursus de la HETS, « il manque des cours en lien avec la vie associative et la participation. Si on ne fait pas un stage dans un lieu qui met ces aspects-là en avant (par exemple dans les filières éducation et assistant·e social·e), on ne les acquiert pas » regrette-t-elle. Kendra Catillaz confirme : « Nous ne sommes pas assez formé·e·s sur la dimension associative pendant les cours. En deuxième année, c’est une camarade de volée, monitrice depuis plusieurs années dans un centre, qui m’en a beaucoup parlé. » Elle relève aussi qu’en raison du covid, en 2e année, un module qui devait se passer dans l’espace public avec plusieurs projets sur lesquels intervenir a été annulé. Idem pour une intervention avec les TSHM du BUPP. « La pratique, je la vis aussi là maintenant avec le stage au jardin Robinson d’Onex. Mais cette immersion pendant la deuxième année, elle me tenait à cœur pour découvrir autre chose, notamment tout l’aspect de préparation d’un projet. »

Au service de quel projet associatif ?

C’est quoi, le projet associatif et c’est quoi se mettre au service d’un projet associatif ? « Il faut d’abord que le projet soit en phase avec les publics et le territoire dans lequel il s’inscrit. Il n’est pas gravé dans le marbre et doit être réinterrogé régulièrement », rappelle Sophie Guadagnini. « Donc il en va de l’intelligence des professionnel·le·s et de leur capacité à investir un territoire et ses logiques en repérant ses forces et ses ressources, ses blocages et ses freins, en écoutant les acteurs et actrices du quartier de manière à ajuster ou contribuer à actualiser le projet associatif. Pour cela, il faut revenir aux étapes du diagnostic, aux aptitudes d’écoute et de mobilisation et à la méthodologie du travail social. »

Ulysse Sanchez perçoit bien son rôle ici : être disponible pour l’association, donner de l’énergie et être aligné sur ses valeurs pour développer les projets définis avec les habitant·e·s. Et poser des questions pour faire évoluer le projet associatif en fonction de l’évolution du quartier et du public.

© Jean Wimmerlin (unsplash)

Dans quel écosystème ?

Mais l’association et son projet s’inscrivent dans un contexte plus vaste. C’est ici peut-être que le bât blesse. « A la HETS, on ne nous parle pas assez de la FASe ni de la FCLR. L’école devrait plus nous donner les moyens de comprendre l’environnement institutionnel des centres pour que nous puissions nous faire notre propre opinion dans les débats au niveau de la FASe et de la FCLR », observe Ananda Marthaler.

Mieux comprendre les rôles et la mission des différentes institutions du système, Kendra Catillaz en a carrément fait l’un des objectifs de son stage. Et, c’est au cours de son stage pré-HES au centre de loisirs de Lancy-Marignac que des animateurs militants de longue date ont expliqué à Ulysse Sanchez qui étaient les différents partenaires de l’ASC et son contexte politique avec la FASe, la FCLR, la commune, le canton. « Mais en sortant de la HETS, on devrait être capable de distinguer les différents rôles au sein de l’association, nous n’avons pas assez d’information là-dessus. Il devrait aussi y avoir un module sur la vie associative et un cours RH pour comprendre l’ambiguïté autour du rôle d’employeur », suggère-t-il.

C’est que le contexte est en effet complexe. « Dans le monde du social, on a eu un levier associatif très fort, très puissant, à l’image de ce qui s’est fait à la naissance dans les MQ », rappelle Stéphane Michaud. Puis est arrivée la FASE, qui marque la rencontre entre l’idéal associatif et la logique néolibéral et de la nouvelle gestion publique. « Le parti pris est donc de former les futur·e·s animateurs et animatrices pour qu’ils et elles comprennent les enjeux paradoxaux du système dans lequel ils et elles vont devoir travailler, et soient force de diagnostic, force de proposition, force de critique constructive et force d’innovation pour questionner et améliorer l’existant. »

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Nouvelle génération : forcément moins engagée ou moins militante ?

Durant un des modules de deuxième année, Ananda Marthaler et Kendra Catillaz ont constitué un groupe de travail à trois, avec Aline Steiner, une autre camarade de volée, pour élaborer un projet fictif. Elles ont choisi le champ de la « militance associative » et ont dans ce cadre interviewé plusieurs membres de comité de centres. Ananda Marthaler relève que c’est à travers ce projet qu’elle a réalisé que le militantisme était aussi important dans l’associatif. Toutes trois ont aussi été marquées par les critiques des membres de comités vis-à-vis des animateurs et animatrices qui sortaient de la HETS. « Ces membres de comité étaient assez dur·e·s, on n’a pas très bien reçu ces critiques », se souvient Ananda. Les trois étudiantes ont alors imaginé un fascicule permettant à chacun·e de se mettre à la place de l’autre pour que par la suite les liens puissent être plus cordiaux. Dans leur stage respectif à la MQ des Acacias et au JR d’Onex, Ananda et Kendra ont depuis découvert une collaboration et un dialogue serein à l’œuvre entre équipe et comité.

Pour Stéphane Michaud, l’enjeu est de former des personnes qui soient courroie de transmission entre les réalités de terrain et les responsables politiques. Soit des rôles forcément engagés et militants puisqu’il s’agit de « faire remonter avec une pensée critique et un argumentaire fondé les réalités du terrain pour sensibiliser les politiques en faisant le pari de les influencer », donc d’œuvrer pour une transformation. « Ouvrir les étudiant·e·s au fait que le travail social et le monde politique sont intiment liés est un enjeu majeur », éclaire-t-il. « On ne peut pas penser l’un sans connaître l’autre. On ne peut pas comprendre comment les institutions sociales fonctionnent comme elles fonctionnent si on n’a pas idée de la manière dont se prennent les décisions au niveau politique. Sans parler du vertige néolibéral qui a remplacé l’idée de la relation humaine par le pragmatisme de la prestation. »

Ananda Marthaler confirme ce lien intrinsèque qu’elle perçoit entre le métier d’animation et une forme d’engagement, voire de militance. « Quand on est animatrice, on est forcément militante », dit-elle. « Parce qu’on travaille dans un quartier et qu’on doit prendre en compte ce que les habitant·e·s veulent y changer et qu’on va les accompagner pour améliorer le vivre-ensemble et défendre leurs besoins vis-à-vis des politiques. » Et de citer l’exemple de la MQ des Acacias qui s’est battue pendant 10 ans avec celle de la Jonction pour obtenir l’ouverture d’un terrain d’aventures aux Vernets. « Sur le terrain, j’ai vraiment envie de me battre pour la participation des ados », conclut-elle. « C’est là qu’est ma militance : me battre pour qu’ils et elles puissent s’exprimer et que leur voix soit entendue ».

Ulysse Sanchez considère également son métier comme un engagement, dans le sens où il veut aller jusqu’au bout pour faire germer des projets qui auront du sens pour les habitant·e·s et se battre pour les faire aboutir. Pour autant, il ne donnerait pas toute sa vie ni tout son temps pour son travail d’animateur : « je ne pourrai pas m’oublier dans une cause. Mon engagement, c’est d’être force de proposition et d’être à 2000 % quand je suis dans mon travail pendant le moment où j’y suis, à travers l’écoute, le contact, la rencontre. »

En matière d’engagement, Sophie Guadagnini invite à mettre cette dimension en perspective. Les parcours sont en effet sans doute plus individualistes aujourd’hui que dans les générations précédentes. Mais chercher un emploi dans l’incertitude du monde actuel n’est pas aussi facile qu’avant, ce qui conduit à faire parfois des choix de formations pratiques plus dictées par les perspectives de débouchés que par le cœur. S’ajoutent à cela les « nouvelles » modalités d’entrée à la HETS depuis l’entrée en vigueur des accords de Bologne à la fin des années 90. Aujourd’hui, une grande majorité des étudiant·e·s est issue de l’Ecole de culture générale. « Il y a une forme de sélection et de rationalité des parcours par rapport à l’époque où j’ai étudié à la HETS. Il y avait alors des parcours beaucoup plus diversifiés et des gens plus âgés aussi », précise-t-elle.

Pour Stéphane Michaud, c’est l’importance du l’engagement, quel qu’il soit, du moment qu’il permet de quitter les égocentrismes de fonctionnement pour faire de la place aux mouvements socio-centrés. « Qu’on se serve du métier pour cela ou d’engagements associatifs, politiques, syndicaux, culturels, etc., tout me va, car l’important est d’être concerné·e par l’autre, par le monde alentour. Ce qui est questionnant, c’est que nous avons construit une société dans laquelle il devient extra-ordinaire de prendre un petit temps pour l’autre. C’est consternant ! Quand on est en soirée avec des copains, lorsqu’on dit qu’on prend du temps pour une cause associative, on passe pour quelqu’un d’extra-ordinaire », constate-t-il. « Je postule qu’on devrait remettre dans les programmes dès le plus jeune âge l’apprentissage du socio-centrisme à travers le bénévolat. Prendre une heure ou deux pour faire quelque chose pour l’autre ne devrait pas être extra-ordinaire mais normal. L’avantage de notre métier, c’est qu’on peut combiner engagement ou militantisme et métier, puisque, plus que tout autre, le travail social est intimement intriqué dans les enjeux politiques », ajoute-t-il encore.

Il perçoit aussi dans l’époque une fin de cycle et relève quelque chose dans les nouvelles générations qui est déjà en marche, citant Michel Serres : « on est passé à un autre monde mais ‘les vieux’ ne s’en rendent pas compte et ils font comme s’ils étaient encore comme dans le monde d’avant ». De fait, les initiatives, qu’elles soient individuelles, collectives, politiques ou communautaires, n’ont jamais été aussi nombreuses qu’aujourd’hui. « Regardez le film Demain et le site internet qui recense toutes les initiatives pour penser le mode autrement. C’est immense ! Chaque levier qui permet de passer de l’auto-centrisme au socio-centrisme est un levier d’engagement et c’est de cela dont nous avons besoin. C’est un engagement au monde, à l’autre. C’est être intéressé par autre chose que soi et s’inscrire dans quelque chose qui nous dépasse en termes de projet de société ».

Sophie Guadagnini partage ce sentiment : « il y a quelque chose qui fait élan et motive les jeunes à venir étudier à la HETS. La vision transformatrice du monde est très présente : une partie de mes étudiant·e·s est très engagée dans des associations et y consacre beaucoup de temps ».

Mais, rappelle-t-elle aussi, selon les résultats des dernières enquêtes fédérales sur l’état du bénévolat, les gens s’engagent de manière plus ponctuelle et dans une logique de projet, ce qui pose en effet un réel problème de relève aussi pour les comités des associations !

« Et puis, il faudrait définir ce qu’on entend par être militant·e », ajoute-t-elle. « Est-ce de faire des heures supplémentaires ou de s’engager dans d’autres domaines ? » Chez elle, comme chez les jeunes et dans le milieu associatif d’une manière générale, on fait de moins en moins référence à la notion de « militance ». Elle lui préfère l’engagement citoyen, « pour servir l’intérêt général, la cité, pour favoriser la cohésion et la justice sociales », et qui peut s’exprimer hors de toute structure.

Elle lie aussi cette évolution de l’engagement à une autre vision du travail : « la nouvelle génération cumule plusieurs emplois, regardez les ‘slashers’. À travers cette volonté de donner de son temps libre pour une autre cause, cette génération diversifie ses réseaux, ses champs d’expérience. ». Pour celles et ceux de ses étudiant·e·s qui travaillent et s’engagent ainsi, elle les encourage à valoriser ces activités, qu’elle juge source de nouvelles compétences, d’apprentissage et de connaissance de soi.

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Faire confiance

Pourquoi la nouvelle génération ferait-elle moins bien que ses aîné·e·s ? Ulysse Sanchez voudrait que les équipes fassent confiance aux nouveaux et nouvelles professionnel.le.s qui arrivent.

Sophie Guadagnini assure elle-aussi qu’il faut avoir confiance en la capacité des jeunes à se mobiliser pour des sujets qui font sens pour elles et eux, comme la question du climat et de l’environnement ou la coopération Nord-Sud, etc. « Je pense qu’il faut faire confiance dans la capacité de la nouvelle génération à assurer une relève, mais aussi accepter que cette relève sera différente. Les ancien·ne·s veulent une relève à leur image, des clones. Mais non ! Le projet évolue, les forces et le capital humain évoluent, les dynamiques évoluent. Il faut faire confiance en la capacité des jeunes professionnel·le·s à investir le terrain associatif et à l’enrichir. Il y a chez elles et eux beaucoup de souplesse et d’adaptabilité. Peut-être que cela va venir aider le monde associatif à actualiser ce qui doit l’être pour continuer de rester en adéquation avec le terrain », se réjouit-elle.

La nouvelle génération ne fera pas la même chose que son aînée. Elle trouvera ses propres marques, et fera avec sa sensibilité, ses moyens et le contexte. Mais une chose est sûre, une partie d’entre elle porte en elle cette volonté de se mettre au service de la transformation du monde. Avec un regard neuf, une attention particulière au vivant et une énergie nouvelle. « La passion est un mot important. Je pense que quand on est passionné, on est de toute façon engagé », conclut Ulysse Sanchez.


[1]            Philippe Meirieu, pédagogue

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