Interview de Yvan Schallenberger, intervenant et co-fondateur de Instant Z
Lettre de la Fédération n° 23 – Avril 2021
Pour faire écho aux échanges du 7e Forum annuel des Maisons de quartier en Ville de Genève et prolonger la réflexion sur le fonctionnement associatif au cœur du dispositif d’animation socioculturelle, voici une invitation à dézoomer pour trouver des résonances, de la matière à réflexion et peut-être des enseignements utiles et inspirants pour l’ensemble des actrices et acteurs de l’ASC du canton, à travers une interview de Yvan Schallenberger, intervenant et co-fondateur de Instant Z
Q. Yvan, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je dirais que je suis un citoyen du monde qui aimerait bien que les humain.e.s prennent du plaisir à habiter la Terre et à laisser une belle planète aux générations futures… Au-delà de ça, j’ai choisi de m’engager professionnellement au sein de Instant Z dans l’accompagnement d’équipes. A travers la formation ou le coaching, je travaille avec elles sur la manière de s’organiser, de mener des projets ensemble pour les amener à faire des choix en conscience.
Q. Dans quel cadre êtes-vous intervenu au dernier Forum annuel des maisons de quartier en Ville de Genève ? Quelle était la demande des organisateurs ?
On m’a demandé d’intervenir sur le thème du fonctionnement collectif. Ce thème était ressorti lors des précédentes éditions du forum. Ces deux dernières années, plusieurs maisons de quartier (MQ) ont contacté Instant Z car elles s’intéressaient à la gouvernance partagée. C’est un sujet qui commence à faire partie de leur vocabulaire, qui les interpelle et qui peut leur être utile. C’est encore une découverte, un tâtonnement. Les organisateurs du forum avaient envie que je mette en lien et en perspective ces explorations avec les particularités du fonctionnement des MQ : comment faire avec les comités, les professionnel·le·s, les bénévoles ?
Avec le temps, je me suis rendu compte que cette particularité d’avoir des professionnel·le·s, des bénévoles et des comités existait dans de nombreuses autres organisations. En revanche, ce que je voyais moins et que j’ai découvert ici, c’est la dimension politique, c’est-à-dire le cadre légal dans lequel s’inscrit le travail des MQ. Par rapport à ce cadre, la question est de savoir s’il est soutenant pour leur permettre de proposer des animations socioculturelles pertinentes au niveau local ou au contraire, s’il est limitant. Si les personnes qui décident au sein de ce cadre, le font en consultant et en co-décidant. Dans l’animation socioculturelle, il y a donc beaucoup de dimensions différentes, avec des enjeux différents, qui pourraient trouver une réponse intéressante avec certaines approches de la gouvernance partagée.
Q. Les MQ sont-elles un terreau particulier par rapport à d’autres types d’associations, en termes de fonctionnement mais aussi peut-être en termes de risques et d’opportunités particulières ?
J’y vois un terreau fertile, comme celui que je retrouve dans l’Économie sociale et solidaire. Ce terreau est fertile par les valeurs que portent les personnes qui choisissent de s’impliquer dans ce type d’associations. Chez ces personnes, il y a une intention forte de prendre soin des autres, souvent plus que d’elles-mêmes d’ailleurs, et de faire avec les autres.
L’intention est très importante. Mais elle n’est pas suffisante : il manque souvent une méthodologie pour la traduire dans l’action.
Q. En quoi la gouvernance partagée pourrait-elle soutenir la mission des MQ pour permettre aux habitantes et habitants d’exercer leur pouvoir d’agir, pour améliorer le vivre-ensemble ?
Je dirais que la gouvernance partagée est une manière de se mettre au service d’une intention, d’un projet, de valeurs et de principes. Elle offre des outils qui permettent de sortir des « logiques de pouvoir sur » pour aller vers des « logiques de pouvoir avec ». A quel que niveau que ce soit de la structure ou de l’institution, elle vient soutenir le projet commun qui, ici, est a priori de proposer des animations socioculturelles pertinentes au niveau local.
Toute la structure organisationnelle est censée être au service de cette intention. Par exemple, si des institutions légales ou administratives sont impliquées dans le système de la MQ, comment se mettent-elles aussi au service de cette intention ? S’il y a des comités citoyens, comment se mettent-ils au service de cette intention ? Idem s’il y a des équipes professionnelles, des bénévoles, etc.
Dans un système, la gouvernance partagée est une recherche d’équilibre entre verticalité et horizontalité pour définir les endroits où les décisions sont prises ensemble et ceux où elles sont prises tout seul, et pour définir également les différentes dimensions du « tout seul » (le comité seul ou l’équipe d’animation seule ou une personne seule) et du « ensemble » (y compris l’acteur politique, l’institution administrative, le comité, les professionnel·le·s, les usagers et usagères,etc.). Il s’agit donc de concevoir un design, qui soit le plus simple possible, pour définir les différents niveaux de décisions.
Dans des systèmes administratifs et institutionnels difficiles à faire bouger, la gouvernance partagée viserait à les rendre pertinents et optimaux pour que les décisions soient prises avec le moins de temps, d’énergie et de réunions possibles.
Q. Pourriez-vous donner des exemples de situations où vous avez pu observer des problématiques de fonctionnement dans les MQ avec lesquelles vous avez travaillé ? Et d’outils que vous avez mis en œuvre pour y répondre ?
J’en vois deux. D’abord l’enjeu le plus concret : les réunions et au sein des réunions, la manière de prendre la parole, la facilitation, la manière de traiter les différents besoins, etc. Dans certaines MQ, la facilitation des réunions était tournante et tout le monde devait l’assurer à tour de rôle, mais sans forcément avoir de méthodologie de réunions, ni de prise de parole ou de prise de décision, ni de vision claire de qui décide. Certaines personnes le faisaient très bien, intuitivement et avec du plaisir à le faire. Pour d’autres, le tour de facilitation générait un énorme stress.
Premier enseignement : dans la gouvernance partagée, la facilitation est un élément clé. Des personnes aiment la faire et d’autres non. Et certaines personnes sont compétentes pour le faire tandis que d’autres ne le sont pas. Les personnes qui aiment peuvent développer cette compétence.
Mais la base, c’est de ne pas forcer les gens et de ne pas générer un stress en les obligeant à sortir trop loin de leur zone de confort. Sortir de sa zone de confort, c’est intéressant mais si on pousse le curseur trop loin, cela peut devenir une zone de panique.
Deuxième enseignement : quand les prises de parole ne sont pas structurées et qu’il n’y a pas de culture en interne sur les différentes manières de prendre la parole, les personnes qui facilitent manquent d’appui pour assurer leur rôle. Or collectivement, on peut clarifier les moments où c’est bien que chacun·e prenne la parole quand il/elle veut, même si on se marche dessus, et les moments où on organise un tour de parole formel pour construire une décision.
La gouvernance partagée fournit les outils pour faciliter et structurer les réunions en focalisant sur les besoins exprimés par les personnes présentes. Le groupe se met alors à leur service pour y répondre et le facilitateur ou la facilitatrice s’assure que personne n’est contre les options prises et que celles-ci ne génèrent pas de nouveaux problèmes. En traitant le problème amené par une personne, celle-ci quitte la réunion plus légère. J’y vois un bénéfice en termes d’efficacité mais aussi de risques psychosociaux.
La gouvernance partagée fournit aussi des outils pour différencier les différents niveaux de décisions, entre celles qui sont purement centrées sur le besoin des personnes dans leur rôle (le « je » et ses responsabilités) et celles qui visent à répondre aux besoins de l’institution (le « nous », le collectif et son fonctionnement).
Le deuxième enjeu que j’ai identifié se situe au niveau de l’orientation collective et des priorités.
Localement, c’est théoriquement l’association/le comité qui sont les garants légaux de la mission et ce sont les professionnel·le·s qui la traduisent en action sur le terrain. Il y a donc là une articulation à trouver entre ces deux instances.
La gouvernance partagée prévoit des espaces pour porter un regard sur les différentes étapes dans la vie de l’organisation, notamment avec des temps de bilan où on prend du recul sur des choses qui ont été faites : on identifie des pistes d’amélioration, on célèbre les réussites et les aspects positifs et on reconnaît les difficultés. Il y a également des types de réunions pour orienter l’action des prochains mois ou années. Je crois que légalement c’est aux comités de faire cela. J’aurais tendance à les inviter à être garants de l’ouverture aux professionnel.le.s de ces espaces pour que l’exercice soit pertinent, et que les professionnel·le·s puissent traduire les intentions du comité sur le terrain en tenant compte des ressources, de l’énergie et temps disponibles, etc. La question est : le comité est-il le gardien de l’intention au niveau local ? Est-ce qu’il freine ou soutient les tâches ou les relations ? C’est une grille de lecture que j’utilise tout le temps dès lors que l’on se rejoint autour d’une intention collective.
Q. Avec quelles demandes les MQ se sont-elles adressées à vous ?
J’ai plus particulièrement accompagné une MQ. A l’époque, la demande n’était pas forcément très claire. J’ai mis en lumière les problématiques entre comités et professionnel.le.s en proposant de travailler sur les deux niveaux. Finalement, le choix s’est porté sur l’accompagnement des professionnel·le·s parce que c’est a priori à ce niveau-là, donc au niveau opérationnel, que la gouvernance partagée pouvait avoir le plus d’impact. C’est effectivement un endroit où j’ai pu voir les bénéfices, notamment sur le déroulement des réunions et la facilitation dont j’ai parlé tout à l’heure.
Par rapport à l’interface entre le comité et l’équipe, ils et elles ont utilisé des outils qu’on leur a fournis pour faire des réunions de bilan et d’orientation. Ce sont les professionnel·le·s qui s’en sont saisis car ce sont elles et eux qui ont été formé·e·s à la facilitation et qui se sont mis au service du comité. En effet, une des difficultés avec le comité, c’est que les personnes y sont moins stables, elles tournent plus souvent. Il est donc moins facile de monter en compétence. Logiquement, on essaie de faire monter en compétence plutôt les personnes les plus stables et qui pratiquent plus régulièrement. Ensuite, les membres de l’équipe peuvent mettre ces compétences au service du comité pour y faciliter les prises de parole, de conscience et de décisions.
Q. Quand on ne connaît pas les principes et la philosophie de la gouvernance partagée, il n’est pas facile de formuler une demande précise. Dans ces cas-là, quelle porte d’entrée peut-on trouver ?
La plupart du temps, les gens nous abordent, non pas avec des demandes, mais avec des problématiques précises. On peut partir des problèmes ou des aspirations (les deux moteurs pour mettre du mouvement) pour donner envie à des personnes ou à des groupes de personnes de cheminer. La gouvernance partagée fournir des outils très concrets pour traiter une grande partie des problématiques. Elle amène aussi tout un apprentissage par rapport à la formulation d’une demande. C’est en effet tout un processus d’introspection : de quoi ai-je besoin, que pourrais-je proposer moi-même pour répondre à ce besoin ? En ce sens, la gouvernance partagée peut nous amener à faire un cheminement de développement personnel. Ce n’est pas l’objectif mais cela nous fait cheminer individuellement et collectivement. Ce n’est pas toujours confortable mais si on peut le faire collectivement, en se soutenant, ça peut être magique.
Q. Un dernier mot par rapport à l’animation socioculturelle ?
J’ai envie de croire qu’autant les autorités politiques, les comités et les professionnel·le·s dans les MQ sont bien intentionnés dans leur volonté de proposer des animations socioculturelles pertinentes et pour que cela fonctionne. La question est de savoir si le systèmes est optimisé pour servir cette intention. Il serait facile de mener des diagnostics de satisfaction auprès des différentes parties prenantes. On pourrait par exemple demander : En tant que membre de comité ou en tant que professionnel·le, est-ce que je trouve la dimension administrative soutenante ? Est-ce que je trouve que les interventions de la FASe sont soutenantes ? On pourrait même être plus spécifique et demander comment la dimension administrative soutient la mission de l’animation socioculturelle et la mise en action, et comment elle soutient la qualité relationnelle entre les différentes parties prenantes.
La somme de tous ces points de vue subjectifs pourrait permettre d’identifier des indicateurs. A partir de là, il serait intéressant d’étudier comment ajuster le système pour améliorer les choses et mettre les indicateurs au vert. Les dysfonctionnements ne sont pas graves, ce qui est important, c’est la manière dont on apporte des améliorations.
L’apport de la gouvernance partagée par rapport à cela est qu’elle fait la distinction entre la personne (« je ») et les tâches dont elle est porteuse et qui, peut-être, dysfonctionnent. Ce dysfonctionnement n’est pas le « je ». La personne peut elle-même trouver des pistes pour y remédier et demander de l’aide…
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Pour découvrir les deux autres regards :
Nous l’avons interrogée sur la qualité du travail des maisons de quartier, sa perception du rôle de l’engagement citoyen et de son apport en matière de cohésion sociale, sa vision du partenariat entre la Ville de Genève et les centres et plus largement le fonctionnement global de l’ASC et de ses différents acteurs.
Ils ont rappelé la particularité et l’importance du fonctionnement associatif de l’ASC, l’enjeu du principe de subsidiarité qui permet d’agir au niveau le plus pertinent et de « maintenir l’organisation de la vie sociale (…) au plus près des personnes concernées », mais aussi soulevé les récentes évolutions institutionnelles et leur impact.