Bénévole, un engagement citoyen pour « faire le bien »… ou changer le monde ?

Lettre de la Fédération n° 21 – décembre 2020

La question de l’engagement citoyen traverse l’animation socioculturelle genevoise depuis qu’elle existe : il en est une composante essentielle, déterminante même, selon ce que confiait un membre de comité aux auteurs de l’étude-action menée par la FCLR en 2019 : « Si on payait le travail des bénévoles, l’État n’aurait pas les moyens pour faire les activités »1 Entretien comité 4 cité en page 20. Cette newsletter a régulièrement abordé le bénévolat, en particulier sous l’angle de la répartition des rôles entre comités bénévoles et équipes professionnelles. Mais qu’est-ce qui pousse des personnes à donner de leur temps pour une maison de quartier, un terrain d’aventures ou un jardin Robinson ? Et quelle reconnaissance en attendent-elles ? Éclairage avec deux ancien.ne.s membres de comité et une animatrice.

Le bénévolat fait régulièrement l’objet d’études et de publications, à l’image de l’Observatoire du bénévolat qui dresse tous les quatre ans un état des lieux de la situation en Suisse et dont l’édition 2020 vient d’être publiée. Facteur de cohésion sociale et de bien-être, il occupe évidemment une place importante dans l’animation socioculturelle à Genève. Mais au fait, c’est quoi le bénévolat ? Une définition nous est donnée par Benevol-jobs, la plateforme suisse du bénévolat portée par benevol (association faîtière qui regroupe les organisations régionales de promotion du bénévolat de Suisse alémanique et Bénévolat Romandie (son équivalent romand). Elle stipule que « le bénévolat est une activité non rémunérée et librement choisie qui s’exerce dans le cadre d’une organisation à but non lucratif (association, fondation, groupe informel ou collectivité publique) ». C’est déjà un cadre. Reste à chaque association et à chaque individu de s’en emparer et de lui donner corps.

Pour cela, examinons de plus près les raisons qui motivent des personnes à s’engager dans les centres d’animation socioculturelle. Sarah Schädler est animatrice depuis quatre ans à la maison de quartier des Avanchets à Vernier. Elle a commencé à s’intéresser au bénévolat pendant ses études à la HETS, à la suite d’un stage à la MQ. Elle y travaillait pour la première fois avec des membres de comité. Elle en a fait le sujet de son travail de Bachelor2L’Engagement bénévole dans les comités de gestion de la FCLR – quelles sont les motivations ?, travail de Bachelor – décembre 2016. Selon la typologie de Clary & Snyder qu’elle cite, les six motivations des bénévoles sont les valeurs, l’amélioration de l’image de soi, le lien social, la carrière, la ‘lutte contre’ (l’ennui, la solitude, etc.) et une compréhension du monde ou d’une situation. « Dans mon analyse, j’ai remarqué que ces motivations se croisaient les unes avec les autres », explique-t-elle. « Cependant, il y a toujours une ‟porte d’entrée”. » L’engagement ne doit donc pas être une coquille vide : les personnes qui s’engagent dans le bénévolat ont besoin d’y trouver du sens, sans quoi elles perdent la motivation et s’en vont. De plus, « chaque personne a sa propre définition du sens qu’elle donne à son engagement bénévole », ajoute Sarah Schädler. Là, la différence peut être importante entre les bénévoles qui s’engagent pour des actions concrètes et ponctuelles comme donner un coup de main pour l’organisation d’une fête de quartier. Chez ces engagé.e.s-là, probablement qu’on s’attache plus à l’utilité de son action et aux opportunités de socialisation qu’elle offre. Mais pour les bénévoles élu.e.s dans un comité, c’est l’engagement pour le quartier qui les motive. « Sur les six membres de comité que j’ai interviewés », relate Sarah Schädler, « cinq se sont engagé.e.s pour mieux comprendre ce qu’il se passait dans leur quartier et s’y investir davantage ». Mais comment y vient-on ?

L’engagement chemin faisant

Aïssatou-Boussoura Garga vit à Vernier Village mais pour différentes raisons, c’est la maison de quartier et jardin Robinson (MQJR) de ChâBal que son fils a fréquenté dès l’âge de 5 ans. Elle en appréciait l’approche de la liberté et de l’expérimentation proposée aux enfants. De son côté, elle participait aux activités à titre bénévole. Invitée à une assemblée générale, elle découvre après deux ans que la MQJR fonctionne avec un comité et qu’il y a des besoins de ce côté-là. Ce n’est d’ailleurs pas le comité qui lui en parle : « il n’y avait pas de communication du comité. C’est l’équipe qui informait les habitant.e.s. Je me suis alors demandée ce que je pouvais faire pour aider et pour appuyer ce qui se fait déjà. C’est à partir de là que j’ai commencé à avoir des contacts avec le comité. Puis j’ai été élue au comité ». Aïssatou-Boussoura Garga y est restée trois ou quatre ans avant de le quitter il y a peu.

« En 1978, je débarquais dans le quartier de la Jonction », se souvient Michel Schweri. « Je suis allé à la première fête de quartier organisée par la maison de quartier, dans un parc qui venait d’être inauguré. Et là, des gardes municipaux ont débarqué pour nous dire de ne pas marcher sur les pelouses ! Illico, on a rédigé une pétition et le soir-même, on avait récolté 500 signatures qu’on a déposées sur le bureau des politiques. Voilà comment je suis entré en matière dans l’animation socioculturelle, puis deux ans plus tard dans le comité de la MQ. » Il y a siégé une trentaine d’années.

Contribuer à bâtir le monde

Sarah Schädler relève que « parfois les personnes qui s’engagent ont aussi beaucoup d’autres responsabilités ailleurs. Pour l’équipe professionnelle et le comité, c’est parfois compliqué d’avancer avec les personnes peu présentes ». Aïssatou-Boussoura Garga le confirme, son engagement bénévole avec la MQJR n’était en effet ni le premier et ni le seul. Alors, pourquoi cet engagement, voire ces engagements ? Parce que « être homme, c’est [précisément] être responsable », affirme-t-elle, citant Saint-Exupéry 3 Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes. Gallimard. 1939. « C’est ma contribution à bâtir le monde dans la mesure de mes capacités. Parce que je suis un être humain et que je dois le faire. » Aujourd’hui, elle n’est plus membre du comité mais elle est toujours membre de l’association et reste à disposition de la MQJR pour des activités ponctuelles. « Mais je ne le fais pas en dilettante. Quand je m’engage, je m’engage, en ayant conscience de mes limites et de mes capacités : il y a un minimum d’honnêteté à avoir ». Pour cela, elle se base sur une série de questions : quelle est ma contribution, est-ce que j’en ai la force, les capacités ? Est-ce une question d’égo ou de pouvoir ? Ou bien est-ce que j’y crois ?

Bénévolat ou militance ?

Le débat n’est pas nouveau et il a été abordé dans cette newsletter sous l’angle des professionnel.le.s. Michel Schweri le convie aussi pour les membres de comité. « Bénévole, c’est un engagement dans lequel je ne me reconnais pas. Moi, je suis un militant », insiste cet ancien typographe engagé dans la lutte syndicale dès son apprentissage. Et la différence est importante si l’on se fonde sur l’étymologie et la définition de ces deux mots : « bénévole, c’est ‘vouloir le bien’, c’est faire pour les autres », explique-t-il, « tandis que militer, c’est s’engager pour changer le statu quo, donc aussi pour soi-même. Et en faisant cela, on prend des risques. Par exemple, quand on fait du militantisme syndical, on peut se faire virer ou se retrouver sur des listes noires ». Plutôt que bénévole, Michel Schweri se revendiquait donc (et se revendique toujours) « militant citoyen ». Les maisons de quartier étaient alors un bon vecteur pour exercer cet engagement : elles mobilisaient non seulement les membres de comité mais aussi les professionnel.le.s et faisaient ce qu’il appelle de l’« animation de rupture », pour donner le pouvoir au citoyen et à la citoyenne.

Lorsqu’il y était, Michel Schweri percevait le rôle du comité comme un pare-feu associatif « pour que l’équipe ait les moyens de permettre à la population de s’investir dans le centre et de changer le quartier ». Cela semble simple. Pourtant, il se souvient de la contradiction que cela représentait déjà pour des professionnel.le.s : « La contradiction, c’est que le travail social, c’est le service après-vente d’un système qui ‘déconne’ », dit-il. Les professionnel.le.s doivent s’effacer, se mettre au service des citoyennes et citoyens. « Mais à partir de là, c’est une question de choix. Entre des ateliers de bridge ou des ateliers d’écriture de pétition, selon que l’on choisit de soutenir l’une ou l’autre de ces activités, on n’aboutit pas du tout au même résultat pour le quartier ». Quant à Aïssatou-Boussoura Garga, son engagement au comité visait à soutenir l’équipe « sans restreindre le travail des professionnel.le.s ». Le comité doit être fort et prêt à prendre ses responsabilités, estime-t-elle encore.

La question du sens, on y revient, est prégnante dans les choix de Michel Schweri qui a quitté le comité de la MQ « sur le champ », lorsqu’elle a signé la convention tripartite 4 Les conventions tripartites ont été introduites en 2011. Elles sont signées par les associations, la FASe et les communes avec la FASe et la ville de Genève. « Jusqu’alors, avec la FASe, nous avions une saine confrontation. La convention tripartite a signifié que nous remettions une partie de notre autonomie à la FASe. C’était le point de bascule. Nous perdions notre souveraineté pour devenir un maillon de la FASe et de la FCLR ». Aujourd’hui engagé dans la JonX, l’Association des habitant.e.s du quartier de la Jonction, il continue de collaborer avec la MQ et convient que l’engagement politique de la MQ pour changer la vie du quartier, notamment sur les questions de mobilité et d’habitabilité, perdure. Mais « moins activement » car le bénévolat au sein du comité et l’accompagnement des professionnel.le.s ont remplacé le militantisme de part et d’autre.

Alors oui, les bénévoles ont aussi un intérêt personnel à faire le bien (ils et elles le font aussi pour en retirer du bien-être ou de la satisfaction personnelle). « Les bénévoles font aussi que le monde est moins mauvais », reconnaît Michel Schweri. « Mais ils et elles composent avec le système, sans le remettre en question. Alors que quand on est militant, on veut changer les règles. Distribuer des cornets de nourriture, c’est très utile et je pourrais le faire mais je doublerais cela d’un travail de dénonciation de la situation auprès des autorités qui ne font pas leur boulot pour lutter contre les inégalités ». Derrière cela, se pose la question de la manière dont on s’empare de son pouvoir d’agir sur son environnement proche, et de l’origine de l’impulsion (des autorités ou de l’individu).

Se former pour comprendre

Impulsions, bonne volonté et engagement suffisent-ils dans le contexte de l’animation socioculturelle genevoise (ASC) ? « Dans les faits », explique Sarah, « peu de bénévoles comprennent d’emblée la complexité du cadre de l’ASC et du rôle du comité en tant qu’employeur au quotidien ». Même si les bénévoles du comité amènent leurs compétences professionnelles, ce n’est pas toujours suffisant. « Je me suis engagée sans savoir exactement à quoi servait un comité par rapport à l’équipe », se souvient Aïssatou-Boussoura Garga. Elle a donc suivi presque toutes les formations de la FCLR, pour comprendre la répartition des rôles entre l’équipe et les bénévoles du comité et les responsabilités de chacun, et parce qu’être membre de comité s’accompagne de responsabilités, comme les relations avec la commune, la FASe, la FCLR… « Si les comités ne se forment pas et ne prennent pas conscience de leurs responsabilités », estime-t-elle, « ils deviennent des ‘social club’ pépères. Or un comité doit être dynamique ! On ne peut pas demander à une équipe d’être dynamique si on est soi-même statique ». D’autant que participer à des formations permet de s’enrichir, de partager et de rencontrer les autres. « Car on ne peut pas être bénévole tout seul dans son coin », conclut Aïssatou-Boussoura Garga.

Motivation, longévité et reconnaissance

Mais, l’engagement bénévole au sein d’un comité prend du temps, surtout quand on a un travail, une vie de famille… Quand une personne fait beaucoup au sein d’un comité, est-ce que ce n’est pas décourageant pour les autres ? Est-ce que les autres ne se disent pas qu’ils ne sont pas légitimes ? Aïssatou-Boussoura Garga suggère à la FCLR de mener une réflexion sur ce qui fait la légitimité des membres de comité et la raison pour laquelle certain.e.s s’engagent longtemps et d’autres non.

La motivation est-elle suffisante ? La question de la reconnaissance pourrait-elle jouer un rôle dans la durée de l’engagement ?

Les règles d’or du bénévolat en ligne sur le site de Benevol-jobs stipulent que « le bénévole a droit à une reconnaissance personnelle de son travail. La possibilité de donner son avis et de participer à l’élaboration des décisions qui le concernent favorise sa motivation et son engagement envers l’organisation. La formation, proposée ou prise en charge par l’organisation augmente les compétences du bénévole et constitue une forme de reconnaissance. Un feed-back individuel sur le travail accompli fait partie d’un engagement bénévole couronné de succès ». En 2019, un membre de comité interviewé dans le cadre de l’étude-action menée par la FCLR disait qu’il « faudrait repenser la question du bénévolat en termes de reconnaissance, au moins symbolique. Par exemple sous forme de bons ou de formation » 5 Etude-action sur l’apport de l’engagement associatif dans les centres, 2019, entretien comité 8, cité en page 13.

Un groupe de travail de la FCLR a lancé la réflexion. A la MQJR de ChâBal, le comité avait aussi discuté de la possibilité de « rétribuer » l’engagement de ses membres via des rabais sur les finances d’inscription aux activités. Aïssatou-Boussoura Garda s’y était opposée, estimant qu’on n’est pas bénévole pour obtenir un cadeau ni pour se faire voir, mais pour l’action. « J’ai trouvé un idéal de bénévolat quand je suis arrivée en Suisse en 2004. Pourquoi le saboter avec une rémunération ? On est bénévole parce qu’on y croit, pas parce qu’on est rémunéré en retour. » Michel Schweri, non plus, n’adhère pas à cette vision « intéressée » du bénévolat : « la reconnaissance derrière le combat ? Je ne m’attends pas à de la reconnaissance. Quand on est militant, on n’attend pas de reconnaissance. La satisfaction que j’en retire, c’est par exemple d’avoir déposé une pétition après tout un travail de terrain, et de la défendre auprès des autorités », explique-t-il. Selon ses observations, Sarah Schädler indique que les bénévoles attendent en effet de la reconnaissance, mais sous la forme par exemple de remerciements des habitant.e.s après l’organisation d’une fête, ou la satisfaction d’avoir mené à bien un projet qui fait une différence dans le quartier. « Mais aucun.e ne m’a parlé d’une reconnaissance en termes de bons ou de rétribution financière », précise-t-elle.

Nourrir la motivation

À travers son travail de Bachelor, Sarah Schädler a pu mieux comprendre la dynamique bénévole, ce qui l’a amenée à adapter sa pratique en conséquence. Dans sa maison de quartier, elle a ainsi initié la mise en place de commissions associant professionnel.le.s et bénévoles pour impliquer ces derniers directement dans les projets, et pas seulement dans la gestion institutionnelle du centre. Elle travaille aujourd’hui avec deux membres du comité sur un projet de potager de quartier. Ils se voient régulièrement et c’est important «car ce sont les habitant.e.s qui connaissent le mieux les besoins du quartier. Moi, en tant qu’animatrice socioculturelle, je suis aussi rémunérée pour faciliter les projets émergeant des habitant.e.s».

« Il n’y a pas de petits engagements », conclut Aïssatou-Boussoura Garda. « Du moment qu’il y a une demande ou un besoin, si je peux y répondre, je le fais. A nouveau, parce que c’est ma responsabilité d’Être humain. » Pour autant, « les gens disent que la motivation ne dure pas. Un bain ou une douche non plus, c’est pourquoi il est recommandé d’en prendre chaque jour ou presque »6 Travail de Bachelor de Sarah Schädler, p. 56, rappelle Sarah Schädler en conclusion de son mémoire. Et la clé d’un engagement bénévole réussi est peut-être là, dans la revalidation régulière de sa motivation à travers la formation, les rencontres et le partage entre pairs, l’écoute du quartier, le dialogue avec l’équipe, etc. Et dans la capacité à savoir s’effacer lorsqu’on n’y voit plus le sens…

Références et suggestions de lectures

Sarah Schädler : L’engagement bénévole dans les comités de gestion de la FCLR – quelles sont les motivations ?, travail de Bachelor – déc. 2016
Xavier Gilloz : S’engager dans un quartier. Regards d’habitants sur différentes formes d’engagement et les pratiques mobilisatrices d’animation socioculturelle, travail de Master – août 2019
Croix-Rouge suisse et 26 autres organisations : Manifeste en faveur de de la promotion nationale de l’engagement bénévole – octobre 2020 https://www.redcross.ch/fr/manifest-nationale-forderung-von-freiwilligem-engagement

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