Dans le sillon fertile de l’animation socioculturelle

Escalier en colimaçon. Tons blancs et oranges.
Photo Laure Bonnevie / Histoire de mots

Ah, les mercredis après-midi à l’accueil libre, les centres aérées d’été les mains dans la terre, les bricolages colorés pour la fête du Bonhomme Hiver, la soirée intergénérationnelle de Noël… La maison de quartier, le terrain d’aventures et le jardin Robinson peuvent être de véritables fabriques à souvenirs pour les personnes, jeunes et moins jeunes, qui les fréquentent. Mais au-delà des joies enfantines ou des amitiés adolescentes à la vie à la mort qui s’y nouent, se pourrait-il qu’un vécu de l’animation socioculturelle trace un autre sillon susceptible d’enrichir durablement la recette de la cohésion sociale ? C’est ce que nous avons voulu savoir en interrogeant quatre personnalités publiques ou particulièrement investies dans la vie de leur centre : Sabrina Cerruti-Joye, ancienne usagère et co-présidente du jardin Robinson de Meyrin, Jessica Sacchelli, ancienne usagère et co-présidente de la maison de quartier des Acacias, Sami Kanaan, ancien vice-président de la maison de quartier des Eaux-Vives et Conseiller administratif de la Ville de Genève, et Christian Brunier, ancien président de la maison de quartier d’Aïre-Le Lignon et directeur des Services industriels de Genève (SIG).

Vivre et apprendre le collectif ensemble

Sabrina Cerruti-Joye est arrivée au jardin Robinson de Meyrin à l’âge de sept ans, par le bouche-à-oreille, alors que sa famille venait d’emménager dans la ville. «Ce qui me plaisait, c’était la vie dehors au contact de la nature. J’étais ‘accro’, j’y allais tous les jours pour m’occuper de mon lapin et participer aux activités. Nous étions toute une bande d’enfants et nous nous sentions chez nous au jardin Robinson : les buissons nous semblaient des forêts, on inventait des histoires avec des châteaux… c’était tout un univers, nous étions acteurs du lieu. Pour moi, c’était l’autonomie, je pouvais crapahuter, me salir, grimper aux arbres…». Depuis, elle ne l’a jamais vraiment quitté, continuant de venir aux fêtes, y devenant plus tard monitrice tout en étudiant pour être enseignante, avant d’entrer au comité et d’en devenir co-présidente.

Pour Jessica Sacchelli, jeune co-présidente de la maison de quartier des Acacias née à Yverdon, la maison de quartier des Acacias était un moyen de se familiariser avec le quartier où elle venait d’arriver avec sa famille, après avoir vécu quelques temps aux Pâquis. Elle avait alors une dizaine d’années. «C’était un lieu où régnait une grande bienveillance que je ne trouvais pas à l’école où j’étais ‘la petite nouvelle’. A la maison de quartier, on accueille tout le monde sans faire de différence, on y met en valeur l’individu, c’est rassurant. Cela m’a permis de me créer une deuxième famille, une bande de copains. J’ai pu élargir mon réseau dans le quartier et mieux comprendre comment il fonctionnait».

L’arrivée de Sami Kanaan à la maison de quartier des Eaux-Vives, il y a une trentaine d’années, était liée à son engagement politique. Jeune militant au moment des élections municipales de 1991, il s’intéressait aux enjeux de la démocratie de quartier et de la participation. Le lien avec la maison de quartier est apparu comme une évidence. Une connaissance était au comité, il y est entré à son tour en 1992 ou 1993. Il y est resté 10 ans, et y a été vice-président. «C’était un bon moyen de mieux connaître le quartier et de m’y impliquer. C’était surtout un engagement de terrain, très concret et non partisan». C’est aussi l’engagement politique qui a conduit Christian Brunier à croiser la route de l’animation socioculturelle. Âgé d’à peine plus de 20 ans, et tout jeune conseiller municipal de Vernier, il est approché par les animateurs du centre de loisir d’Aïre-Le Lignon qui cherchaient un président. «La maison de quartier m’offrait l’opportunité de concrétiser mes idéaux politiques, de les mettre en pratique», explique celui qui s’est employé à rouvrir plus largement le centre sur le quartier et à y insuffler un projet propice à la rencontre entre les habitant.es, l’inclusion des jeunes et la cohésion sociale.

Usagères ou engagés dans la gouvernance du centre, nos quatre interlocutrices et interlocuteurs y ont fait l’expérience de la vie et de la gestion collective, et en ont tiré des enseignements multiples. «Il y a toujours un apprentissage dans des engagements comme ceux-là», explique Sami Kanaan. «En l’occurrence celui de la gestion collective. En effet, le comité d’une maison de quartier offre l’avantage de côtoyer des personnalités diverses et chatoyantes, que ce soient des parents, des personnes âgées, l’équipe professionnelle, etc. Il faut apprendre à discuter et à se mettre d’accord pour faire avancer la maison de quartier ensemble.» Jessica Sacchelli abonde : «La maison de quartier, c’est faire l’apprentissage de la dynamique de groupe dans laquelle tout le monde a de la valeur, c’est soutenir les potentiels individuels».

Christian Brunier a vécu son engagement dans l’animation socioculturelle comme en politique comme une école de vie : «c’était très formateur pour moi. Imaginez, j’avais une vingtaine d’années et je me suis retrouvé à la tête d’une petite entreprise en quelque sorte. J’y ai appris beaucoup de choses : c’était la première fois que je devais faire du recrutement, j’ai aussi dû licencier une personne, gérer les finances et la croissance de l’association». Car à l’époque où Christian Brunier a assuré la présidence du centre de loisirs d’Aïre-Le Lignon, celui-ci est devenu une maison de quartier, a repris les activités du Discobus de la Croix-Rouge genevoise et est passé de trois à sept ou huit animatrices et animateurs. Rien de tel pour tester sa confiance en soi et autant d’enseignements qu’il a consolidés ailleurs, notamment dans ses mandats politiques en tant que député au Grand Conseil et président de parti.

Et puis, comme le constate Sami Kanaan, «la gestion d’une maison de quartier est complexe : c’est un enjeu professionnel, un mandat public, mais avec une gestion associative. Déjà à l’époque, nous avions beaucoup de débats sur l’équilibre entre la gestion associative – donc l’autonomie de chaque maison – et le cadre commun. J’étais au comité de la MQ des Eaux-Vives lors de la création de la FASe : le Conseil d’État avait décidé de donner un cadre plus structuré et je me souviens de discussions très épiques à ce sujet car on croyait à fond en la gestion associative autonome des maisons de quartiers et on se méfiait de toute velléité centralisatrice». Ce contexte était particulièrement formateur pour comprendre les enjeux de la gestion publique : «cela a contribué à me donner une meilleure compréhension des processus collectifs et publics à travers un système de gestion publique assez complexe. En s’inscrivant dans un comité de gestion de maison de quartier avec un enjeu aussi transversal, puisqu’on gère des activités destinées à toutes les composantes de la population d’un quartier, on comprend mieux comment la chose publique fonctionne».

Vue sur la tranche d'un tronc d'arbre coupé.
Photo Joel-jasmin-forestbird/Unsplash

Le cercle vertueux de la transmission

La vie avançant, qu’est-il resté de ces apprentissages ?

Chez Sabrina Cerruti-Joye, cela se traduit par un engagement bénévole au sein du comité du jardin Robinson pour défendre et transmettre les valeurs de l’animation socioculturelle : «j’ai tellement aimé venir au jardin Robinson que je peux bien m’engager pour lui aujourd’hui. C’est comme un roulement : on transmet à d’autres enfants ce que nous avons reçu quand nous étions enfants, en espérant qu’eux-mêmes le transmettront plus tard à d’autres». De plus, le fait d’avoir fréquenté le jardin Robinson en tant qu’usagère est un atout pour la gouvernance et la gestion du jardin Robinson : «dans les réunion du comité, nous parlons le même langage que l’équipe d’animation, on comprend ses enjeux et ses difficultés, ça va plus vite».

Jessica Sacchelli a réalisé en grandissant «le travail incroyable que faisait la maison de quartier et la nécessité de le soutenir». Elle a donc continué de s’y engager. «Je suis devenue membre de l’association à l’adolescence, j’ai fait les crêpes à la fête de quartier. Puis je suis passée à l’étape supérieure : je suis rentrée au comité il y a 8-9 ans pour défendre les valeurs de la MQ et le travail de l’équipe d’animation… Cela fait 18 ans que je suis à la maison de quartier !», s’enthousiasme Jessica qui vient tout juste de fêter ses 29 ans.

Des valeurs utiles au bien commun

En parallèle de leur engagement bénévole à la coprésidence de leur centre respectif, toutes deux instillent également les valeurs du collectif dans leur contexte professionnel. «Aujourd’hui, j’adore mener des projets en collectif, c’est à dire de manière participative afin que chacun.e trouve sa place et se l’approprie», s’enthousiasme Sabrina Cerruti-Joye. «Je retrouve cela dans mon travail d’enseignante et c’est clairement un acquis de mon expérience au jardin Robinson, comme enfant puis comme monitrice.» Jessica Sacchelli est assistante en soins et santé communautaire et étudiante en bachelor en soins infirmiers. Pour elle, «les valeurs de la maison de quartier sont ancrées pour la vie : ça ne s’apprend pas, ça se vit. Aujourd’hui, ces valeurs m’accompagnent dans tous les compartiments de ma vie. Dans mon travail, cela m’a appris à être ouverte et dans le non-jugement».

De son côté, Christian Brunier a le sentiment de ne pas avoir changé depuis son passage à la maison de quartier d’Aïre-Le Lignon : «en tant que dirigeant des SIG, j’encourage l’inclusion, l’insertion professionnelle des jeunes, la valorisation des expériences de vie au-delà des diplômes… autant de choses qui me semblent indispensables dans une entreprise publique, qui se doit d’être humaniste pour bien fonctionner».

En tant que Conseiller administratif de la Ville de Genève, Sami Kanaan s’efforce de garder «un bon équilibre entre le cadre commun, la mission publique et la place qu’on peut laisser à des entités associatives». Car l’implication de la société civile est précieuse, même si le cadre aujourd’hui est beaucoup plus normé. «C’est un équilibre qu’il faut reconstruire en permanence » estime-t-il.

Un idéal de société

Au-delà encore, «c’est précieux d’ouvrir des espaces de nature en ville, des espaces qui donnent de l’autonomie aux enfants et les laissent vivre quelque chose», explique Sabrina Cerruti-Joye. «En m’engageant au comité de la maison de quartier des Acacias, je défends le principe de lieux où on peut vivre en communauté, accueillir et découvrir l’autre. C’est ce que j’ai vécu enfant et que je continue à vivre…», conclut Jessica Sacchelli.

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