S’organiser collectivement : un forum explore les expériences et bonnes pratiques dans les maisons de quartier de la Ville de Genève

Lettre de la Fédération n°15 – Juin 2019

L’odeur des tapis de sol, les espaliers fixés sur les côtés, un parquet strié de lignes multicolores et des filets de volley au mur du fond… aucun doute, nous sommes bien dans une salle de gym. La journée promet d’être sportive ! Au programme de ce samedi 18 mai au cycle de Sécheron : un marathon d’intelligence collective pour les professionnel.le.s et membres de comités des 17 maisons de quartier de la ville de Genève. C’est leur 6e forum annuel et cette édition veut explorer et partager les expériences sur l’organisation collective. La forme du forum ouvert paraît particulièrement indiqué. Au milieu de la salle, des bancs dessinent un « Grand cercle », dispositif clé du forum ouvert. Quelque 80 personnes y prennent place.

© Laure Bonnevie

On se serre, mais il manque encore de la place. On court chercher d’autres bancs. Je m’installe par terre. Esther Alder, Conseillère administrative en charge du Département de la cohésion sociale et de la solidarité de la ville ouvre la journée. Rappelant la révision en 2018 des conventions tripartites et l’appel lancé aux approches participatives pour renforcer la cohésion sociale et développer les solidarités, elle souligne aussi combien l’expertise et le travail de proximité des maisons de quartier sont précieux pour mobiliser les habitant.e.s.

Puis, c’est le tour de Yann Boggio, secrétaire général de la FASe, d’expliquer combien ce forum est déterminant dans le contexte d’explosion urbaine et de densification actuellement à l’œuvre dans le canton : les acteurs de l’animation socioculturelle occupent une place centrale pour aider ses quartiers à se développer de la meilleure manière possible.

Face à toutes ces questions et ces enjeux, « le thème de ce forum est représentatif du quotidien des pratiques de l’animation socioculturelle avec les rapports entre comités, membres, habitant.e.s, professionnel.le.s », explique Gabriel Barta, membre du comité de la MQ des Acacias et membre du comité d’organisation du forum.

S’organiser collectivement ? Le thème est vaste. Par quel bout le prendre ?

Ce sera le premier défi et tout l’enjeu du forum ouvert : en moins de 45 minutes, le groupe va devoir le co-construire. Comment ?

Xavier de Stoppani, le facilitateur de la journée, explique les règles du jeu et rassure : « L’intelligence collective, c’est toujours aussi un peu chaotique ». On va d’abord organiser une foire aux idées : toutes les questions, hypothèses, problématiques que chaque participant.e veut explorer autour du thème de l’action collective. Puis il faudra établir des rapprochements.

Marché ouvert

Voilà, c’est parti !

Derrière moi, des personnes murmurent leur étonnement à propos de la méthodologie. « C’est un peu brut pour proposer quelque chose », « Ça veut tout et rien dire de s’organiser collectivement ». Ou encore « pour moi, il manque un bout. Il aurait fallu une ‘intro’ sur l’intelligence collective ».

Cette autonomie donnée au groupe pour qu’il définisse lui-même les thèmes de discussion de la journée déstabilise parfois. À la pause de midi, des personnes seront encore perturbées par cette approche ouverte. Nous sommes toutes et tous pareil.le.s : il est tellement plus simple de se laisser porter mécaniquement par un programme tout ficelé.

Pourtant, des petits groupes se forment pour échanger. Dans un joyeux brouhaha, la réflexion s’engage. Bientôt, une première idée est relayée au micro : « Utiliser plus les groupes whats app ». Son auteure se voit remettre un post-it de couleur avec une heure et un numéro d’atelier qu’elle colle sur la feuille blanche sur laquelle elle a noté son sujet. Une pince à linge, et la voilà fixée au filet de volley.

© Laure Bonnevie

A sa suite, les idées fusent au micro et rejoignent le mur :

« Quelles collaborations entre centre et TSHM ? »

« Identité propre et complémentarité »

« Colloque : qui décide ? »

« Gérer le lâcher prise »

« Faire abstraction de son égo pour être plus efficace dans le partage »

« S’organiser collectivement ça prend trop de temps »

« Consensus ou consentement ? »

« Co-construire avec bienveillance »

« Renforcer la participation citoyenne »

« Mobiliser les populations migrantes »

« S’organiser collectivement : lobby ? »

« Comment donner la parole aux habitants d’un quartier ? (la participation silencieuse ) ?

« Comment faire durer la mobilisation et la participation sur le long terme ? »

Puis, le silence… « C’est tout ? », demande Xavier l’animateur. Est-ce qu’il n’y aurait pas encore des questions en suspens ? Oui, plusieurs personnes se lèvent encore. Et le ballet vers les filets reprend. Pêle-mêle :

« S’organiser collectivement quand on n’est pas d’accord »

« Comment ne pas s’épuiser par de trop nombreuses réunions ? »

« Comment investir de nouveaux quartiers ? »

« Préserver les développements à taille humaine qui permettent de garder l’organisation collective »

« Comment développer de nouveaux projets ? »

« Comment nous aider à parler face aux instances officielles ? »

« Comment faire pour que l’intelligence collective soit équitable »

« Comment lutter contre l’isolement en particulier des personnes âgées ? »

« Démocratie participative et démocratie représentative : quelle circulation ? »

« Pour s’organiser collectivement, comment choisir les personnes professionnelles, bienveillantes ? »

« Comment être une association autonome financièrement et monter des projets inclusifs ? »

« Quelle place et voix pour les groupes informels ? »

« Organisation collective numérique : avantages et inconvénients »

« Communication : faut-il relayer les projets, comment et à quelle échelle ? »

« Rôle de l’animation dans le développement urbain »

Il est 10 heures pile. La pêche aux idées est terminée et tout le monde s’agglutine autour du filet pour relire les propositions. Peut-on en fusionner ? Oui. Il en reste finalement 19, soit autant d’ateliers qui se succéderont en trois cycles d’une heure entre la fin de la matinée et le début d’après-midi.

Chacun.e fait alors son marché et élabore son planning de la journée en notant sur une feuille les ateliers qui l’intéressent.

Le forum ouvert pour sortir des sentiers battus

La salle de gym se vide tandis que tout le monde se répartit dans les espaces dédiés aux groupes de discussion. Chaque espace de discussion est numéroté et dispose d’un flipchart et de chaises disposées en rond. Entre, des panneaux rappellent quelques principes du forum ouvert .

© Laure Bonnevie

 

  

Petit à petit, cette pièce toute en longueur, à la sortie de la salle de gym, se transforme en hall de gare avec ses va-et-vient, ses couloirs de circulation encombrés de gens qui s’y croisent et s’y recroisent.
Des apartés se forment entre les cercles, mais aussi dehors du côté des fumeur.e.s, et des thermos de café dans la cafétéria.

Moi-aussi, j’arpente l’espace, je butine et papillonne d’un groupe à l’autre.

Parfois je reste, parfois je pars.

Parfois je contribue, souvent j’écoute et prends le pouls de ce qui fait débat et chagrine, de ce qui enthousiasme et fait avancer. Un apprentissage !

A l’issue de chaque cycle, deux personnes de chaque groupe se rendent en « salle de rédaction » équipée d’une dizaine d’ordinateurs pour rédiger dans l’instant le rapport et l’afficher dans le Grand cercle afin qu’il alimente la réflexion collective. La compilation des rapports résultats des groupes sera diffusée dans les trois jours qui suivent le forum.

Lâcher-prise, prise de décision, nouveaux quartiers…

Les trois cycles finis, le Grand cercle se reforme. Pour chaque discussion, la personne qui a porté le sujet et/ou préparé le rapport partage en quelques mots une ou deux propositions concrètes.

Impossible de résumer ici dix-neuf ateliers et autant de sujets abordés.

Quelques sujets retiennent l’attention : faciliter la prise de décision collective à la fois en termes d’efficience et dans les situations de désaccord avec la formation aux outils de gouvernance partagée ou distribuée (sociocratie, holacratie) ; renforcer les compétences et autonomiser les habitant.e.s ; investir dans les nouveaux quartiers : comment les animateur.trice.s peuvent contribuer à faire entendre la voix des habitant.e.s et y promovoir les projets associatifs ? Peut-on imaginer des « animateur.trice.s volant.e.s » ?

Un dernier tour du Grand cercle vient clore la journée. Chacun.e dépose en un mot son ressenti :

impeccable, merci, choix, intelligence collective, liberté d’aller, joli climat d’écoute, moment sympathique, multiplication des idées, décontracté, idées riches, content de vous retrouver, à suivre, court, partage et découverte, bravo à tous, intense et riche, relationnel, plaisir d’être là, positivement, belles rencontres, écoute, merci pour ce moment, merci, merci et bon week-end, échange, liberté, soulagé et curieux, fatigué mais découverte, moisson d’idées, qualité des échanges

Un instantané plutôt joyeux et positif. La journée a été intense. Comme toujours avec l’intensité, cela laisse à la fois groggy et empli.e de nouveaux souffles.

Les trois partenaires se sont engagés à se revoir début juin pour étudier les propositions et la manière de les soutenir. La suite reste à écrire.

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LE FORUM OUVERT POUR LES NUL.LE.S

L’approche du forum ouvert permet de traiter une question complexe en peu de temps en s’appuyant sur les ressources d’un grand nombre de personnes concernées, mais aussi et surtout sur le plaisir, la liberté individuelle et la mobilité pour encourager et nourrir la créativité.

Quatre principes :

  • Les personnes qui se présentent sont les bonnes : le groupe possède la sagesse nécessaire.
  • Ce qui arrive est la seule chose qui pouvait arriver : ne pas avoir de regret car ce qui compte est l’effort du moment.
  • Ça commence quand ça commence : le groupe peut faire court ou long selon sa volonté.
  • Quand c’est fini, c’est fini : prendre les choses comme elles viennent.

La « loi des deux pieds » pose le cadre de la liberté individuelle : si vous n’êtes ni en train d’apprendre, ni de contribuer, passez à autre chose ! Personne n’est là pour rester dans un groupe mais pour circuler au gré de ses intérêts et de sa capacité à nourrir.

Deux animaux totems :

  • Les papillons prennent une pause ou réfléchissent.
  • Les abeilles font circuler les idées d’atelier en ateliers.

Pour en savoir plus sur l’approche du forum ouvert : http://www.comedie.org/fiche/le-forum-ouvert/

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