Hybrider les idées et les savoirs, la pratique de l’intelligence collective dans l’animation socioculturelle…


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Lettre de la Fédération mars 2018

Pas un secteur d’activité, un débat, ni une organisation où il ne soit question d’« intelligence collective ». On s’interroge sur la manière de la mobiliser au sein de son entreprise, sur ce qu’il faut en attendre pour son association, etc. Alors, simple phénomène de mode ? Nouvelle recette miracle du faire-ensemble ? Dans les faits, cette « capacité du vivant » aurait le pouvoir de générer du haut potentiel. En 1994, le philosophe et sociologue Pierre Lévy la définissait ainsi : « intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ».  

Dans l’animation socioculturelle, comment bénévoles et professionnels s’en saisissent-ils ? Cette manière de réfléchir à plusieurs est-elle si nouvelle que cela et quels sont ses ressorts ? Focale sur ce que certains appellent l’«or gris».

La Lettre d’information de la FCLR se fait régulièrement l’écho de la capacité de l’animation socioculturelle à mobiliser ses acteurs autour de débats et de réflexion commune. Fondée sur une grande tradition orale, l’ASC genevoise s’est historiquement construite sur cette dynamique collective et s’est nourrie successivement de « partenariat », « brainstorming », « participation », « coopération », et finalement d’« intelligence collective ». Boris Ettori, animateur à la Maison Vaudagne impliqué dans l’organisation de l’Ethnopoly, s’en amuse un peu : « On a toujours fonctionné comme ça. Simplement, on appelait ça autrement ». Cette manifestation importante à Meyrin et au-delà offre une belle illustration de ce que produit l’intelligence collective : « Il fallait une bonne dose de folie pour monter la première édition de l’Ethnopoly en 2010 », se souvient-il. « Il y avait de nombreux volontaires engagés dans l’aventure. Plutôt que de les impliquer tous dans tous les aspects de l’organisation, nous avons constitué des sous-groupes de travail. C’était plus efficace et cela a permis à chacun de trouver sa place ». Le bilan tiré a posé des bases solides pour pérenniser l’évènement.

Cette manière de réfléchir et de construire ensemble est un fondement de la Charte cantonale des centres de loisirs, centres de rencontres, maisons de quartier, Jardins Robinson et terrains d’aventure du Canton de Genève : « La démarche d’élaboration de la charte a été entreprise dans un esprit de concertation, et conformément aux principes de fonctionnement régissant le système cantonal de partenariat des centres. (…) Elle a été participative et a impliqué les acteurs des centres, membres des comités de gestion et équipes d’animation. » Ce texte qui s’appuie sur la loi J 6 11 offre donc un cadre propice.

Dans les centres comme à la FCLR, partager et forger ensemble de nouvelles compétences semblent aussi naturel que faire de la prose pour M. Jourdain. La démarche participative est permanente : les projets se coconstruisent et se décident de cette manière-là, cela fait partie de l’ADN. Le processus de validation des projets institutionnels en offre une belle illustration : il prévoit des étapes de validation intermédiaires qui sont clés, car elles permettent de prendre un temps de pause, de faire le point et de s’assurer que toutes les parties prenantes s’y reconnaissent et y adhèrent.

Mais, même si la pratique semble ancrée, elle n’est jamais acquise pour autant. Pour que les regards convergent et que l’exercice aboutisse au résultat attendu, un certain nombre de conditions doivent être remplies.

En premier lieu, les membres autour de la table (qui doit être ronde – pour mieux se voir et faire circuler la parole) doivent partager une vision et une volonté communes, et ils doivent se faire confiance. « Le processus de validation des projets institutionnels peut nous aider à travailler sur un horizon commun », a rappelé Pierre Varcher de la Maison de quartier de St Jean lors du Forum tout public. Organisé le 24 février dernier par la FCLR, ce forum s’est intéressé au thème « Engagement et créativité sociale ». Justement, à la Maison de quartier des Avanchets le samedi 3 mars, membres du comité et professionnels ont bravé la neige pour une importante matinée de travail. Leur objectif : redéfinir ensemble leur projet institutionnel. Pour créer l’espace propice aux interactions et construire des décisions fortes, autres prérequis à un processus abouti, Guillermo Montano, coordinateur fédératif de la FCLR sollicité pour l’animer, s’est appuyé sur des méthodes et des outils de coopération.

Mais, la question du pouvoir est un enjeu important dans un processus d’intelligence collective. Pascal Schouwey, modérateur du Forum du 24 février, le constate et l’interroge : « pas de concertation possible si le détenteur du pouvoir n’est pas prêt à en céder une partie ». Le pédopsychiatre Jean-Claude Métraux, qui intervenait aussi ce matin-là, le dit aussi : « Toute création suppose un risque. Il faut mettre de côté nos velléités de maîtrise ».

Justement, lorsque les contraintes institutionnelles limitent la créativité, l’intelligence collective doit aussi être envisagée comme un outil à mobiliser sans modération. Car elle permet de mieux répondre à la complexité et de reprendre une partie du pouvoir. A l’instar de l’anthropologue américaine Margaret Mead, « ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens déterminés puisse changer le monde. En fait, ça a toujours marché comme ça ».

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