Zoom sur les enjeux de la formation à l’animation socioculturelle

[toc]

Crédit : HEF-TS – Primula Bosshard

Lettre de la Fédération no 8, novembre 2017

Selon le rapport d’activité de la FASe, près de 180 animateurs socioculturels travaillaient dans les centres en 2016. Chaque année, la Haute école de travail social (HETS) de Genève délivre quelque 150 Bachelor. Parmi celles et ceux qui sortent en juin, diplôme en poche, figurent les futurs membres des équipes d’animation des centres et des équipes de travail social hors murs de la FASe. Or, s’ils sont directement employables après ces trois ans d’études, le contenu de leur formation reste un sujet hautement sensible qui, pour le moins, suscite questions et interrogations, quand il n’est tout simplement pas un point d’achoppement entre les différents acteurs de l’animation socioculturelle genevoise. Nous avons tenté de comprendre pourquoi.

Il y a un an, en préparant un article pour la lettre d’information de la FCLR dans la foulée de deux rencontres qu’elle avait organisées sur la coopération entre membres des comités de gestion et équipe d’animation (cf. Coopérer pour agir : la relation bénévoles-professionnel.le.s sous la loupe), une animatrice nous confiait la difficulté qu’elle avait eue, à son arrivée dans un centre, à appréhender la complexité du contexte de l’animation socioculturelle qu’elle disait avoir peu abordé au cours de sa formation.

Interrogée sur la question de la formation, Kete Flück, membre du Comité et de la Commission formation de la FCLR, souligne elle-aussi la particularité de cet environnement, liée notamment à sa nature associative. « Depuis quinze ans que je suis au comité de la Maison de quartier de Chêne-Bourg, explique-t-elle, je me rends compte qu’on doit toujours commencer par faire une explication de texte aux étudiants qui arrivent chez nous en stage car ils ne savent pas toujours qui sont les acteurs avec lesquels ils interagissent. »

Pourtant, poser le sujet en ces termes fait réagir Danièle Warynski, maître d’enseignement à la HETS. Militante associative convaincue, elle défend ardemment le modèle genevois de l’animation socioculturelle fondée sur la gouvernance associative des centres, pour l’ancrage fort qu’il confère à l’action citoyenne. « Il faut bien évidemment former les futurs animateurs à cet outil participatif prodigieux !» affirme-t-elle, rappelant la place donnée à la FCLR dans le corpus des enseignements spécialisés afin que les futurs animateurs se forment en effet « à l’associatif » et en comprennent les ressorts.

Tout le monde s’accorde donc sur l’importance d’intégrer le « fait associatif » dans la formation des animateurs. Mais le « comment » soulève clairement débat.

De la contradiction du métier d’animateur 

À y regarder de plus près, exercer en tant qu’animateur socioculturel dans un centre de loisirs ou une maison de quartier confine presque à la schizophrénie.

Nathalie Maitre, directrice des ressources humaines et de la formation à la FASe (employeur contractuel et juridique du personnel des centres), rappelle que les animateurs socioculturels, tant dans les centres qu’en action de travail social hors murs, ont le devoir de soutenir l’associatif : c’est dans leur cahier des charges. « Ils doivent soutenir les citoyens pour qu’ils soient, en effet, acteurs de leur quartier et les aider à définir les lignes stratégiques de l’action d’un Centre », complète Danièle Warynski.  « On leur demande d’animer les comités de gestion, comme tout groupe de bénévoles, alors que ceux-ci sont leurs employeurs au quotidien », relève encore Gabriel Barta, membre de la Commission formation de la FCLR. « C’est une contradiction de base que les animateurs doivent comprendre. » Enfin, les équipes d’animation sont aussi souvent celles qui, par leur proximité avec les bénévoles et usagers des centres, identifient ceux qui pourraient intégrer les comités. Ce rôle les met en position de « recruter » leurs futurs employeurs et chefs.

Ces fonctions des professionnels vis-à-vis de l’associatif sont clés. Or, la FCLR estime que les techniques d’animation enseignées dans la formation ne sont pas directement reliées à la hiérarchie entre FASe et comité de gestion (l’employeur au quotidien) ni au fonctionnement associatif des centres. « Le respect mutuel de la fonction de chacun doit s’apprendre à l’école », insiste Kete Flück. Intégrer dans le plan de formation des éléments théoriques sur la relation entre comité de gestion (chargé du « que faire ») et équipe d’animation (responsable du « comment le faire »), ainsi que les points de vigilance de la relation sont pour la FCLR des indispensables à maîtriser avant la plongée dans la pratique. La FCLR souhaiterait avoir un rôle à jouer dans ces apprentissages.

La FCLR et la HETS ont déjà avancé vers plus de collaboration comme en témoignent les interventions que la Fédération fait chaque année dans l’un des modules de l’orientation animation socioculturelle. Par ailleurs, une rencontre entre la Commission formation de la FCLR et les enseignants chargés des modules de l’orientation animation est prévue début novembre pour évoquer l’implication de la FCLR dans les curricula.

Un Bachelor « tous terrains »

Danièle Warynski rappelle que le plan de formation du Bachelor en travail social se veut généraliste, formant des professionnels aptes à intégrer rapidement un lieu et ses pratiques dans la diversité des terrains ouverts à ce Bachelor.

Historiquement, ce Bachelor né en 2006 « implique un regroupement des trois filières classiques du travail social en une seule »[1]. Le plan d’étude comprend aujourd’hui un tronc commun aux trois orientations et un quatrième semestre spécifique à chaque orientation, composé, pour l’animation, de quatre modules. « Les étudiants développent une posture de praticien réflexif. L’accent est donc mis sur l’articulation entre les théories et les pratiques »[2].

L’orientation « animation » aborde les différents champs de l’animation socioculturelle (enfants, jeunes, jeunes adultes, aînés, insertion, développement communautaire, culture, ONG, etc.). Elle accueille des étudiants qui se destinent à d’autres parcours que l’animation en maisons de quartier et dans d’autres cantons que Genève. De facto, l’enseignement s’ouvre à d’autres réalités que le contexte des centres genevois. Par ailleurs, les contraintes de temps sont importantes face au nombre de matières à enseigner et de sujets à aborder. Danièle Warynski résume : « Nous formons donc des généralistes qui doivent être capables d’analyser et de s’adapter rapidement au contexte dans lequel ils arrivent. Nous les dotons d’outils participatifs pour qu’ils puissent travailler dans une association ».

Chaque enseignant est autonome dans la gestion de son module et de son contenu, et il le fait autant que possible en coordination et en cohérence avec les quatre autres. Dans le module qu’elle coordonne (module E6 : Professionnalité, sens et fonction), Danièle Warynski s’attache à présenter les structures institutionnelles de l’animation socioculturelle genevoise, romande et suisse et à mettre en avant la valeur associative. La FCLR y intervient ainsi que d’autres acteurs de terrain et des figures de l’animation socioculturelle, telles que Pierre Varcher. Dans sa version actualisée (printemps 2018), « le module mettra encore davantage l’accent sur le rapport avec l’associatif. Il mettra, comme chaque année, les étudiants en contact avec une diversité d’acteurs et de lieux de l’animation (membres de comités de gestion de centres, de la FCLR, d’EMS, de lieux de culture, etc.). Les étudiants analyseront les actions au moyen de la grille d’évaluation des projets institutionnels des centres enrichie de la question des finalités. » annonce-t-elle. « Cet outil constitue en effet une aide à penser qui permettra aux étudiants de se positionner dans la complexité. C’est fondamental dans le travail social. Le lien à l’associatif se trouvera encore renforcé en le repositionnant au cœur de l’évaluation. »

Quelle place pour la formation continue ?

Pour autant, « tout le monde en est conscient : la part de l’enseignement consacrée à l’associatif dans le contexte de l’animation socioculturelle genevoise est insuffisante », résume Nathalie Maitre. « Mais il y a d’autres sujets où c’est aussi le cas. »

En parallèle de la formation initiale, Nathalie Maitre rappelle donc que la Convention collective de travail (CCT) prévoit que les employés de la FASe dont les animateurs socioculturels aient un entretien de suivi tous les deux ans auquel participent le coordinateur région FASe et au moins un membre de comité de gestion  (pour les collaborateurs affectés en centre). Ces entretiens – plutôt valorisants pour les membres des équipes d’animation – sont l’occasion de faire remonter les manques de connaissances ou de compétences à combler au sein des équipes, et mettre en place des plans de formation individuelle.

Et si l’enjeu était aussi dans les centres ?

Reste que la pratique ne se transmet pas dans une salle de cours, elle se vit. Gabriel Barta en convient : « l’enjeu restera les stages, car il faut vivre la contradiction pour la comprendre ». Une fois les outils théoriques acquis, les stages obligatoires, d’une durée de quatre à six mois, sont en effet des espaces-temps déterminants pour instiller chez les futurs animateurs la culture associative des centres, apporter la compréhension du contexte de l’animation socioculturelle, et faire l’apprentissage du lien social.

Les centres portent dès lors une responsabilité tout aussi importante que la HETS dans la formation des futurs animateurs car il leur revient de cadrer les stages et d’en faire des outils efficaces d’apprentissage pratique et de compréhension mutuelle.

Pour cela, comités de gestion et équipes d’animation doivent travailler ensemble pour « élaborer des cahiers des charges pertinents pour le stagiaire comme pour le praticien formateur qui l’encadre au sein du centre », conclut Kete Flück. Avec le soutien de la FCLR ?

[1] Ulrike Armbruster-Elatifi, Nicole Fumeaux, Yuri Tironi et Bernard Wandeler. La formation à l’animation socioculturelle en Suisse in Jean-Luc Richelle (dir.), Animation et Intervention Sociale : Parcours, Formations, Enjeux. Actes du colloque RIA 2013. Carrières sociales éditions. Coll. des Paroles & des Actes. Bordeaux 2014. http://books.openedition.org/cse/207

[2] Ibid.

Publié le
Catégorie
: