Animation socioculturelle : l’intégration à tous les étages

(Source illustration https://www.lamarneuch.ch/)

Lettre de la Fédération juin 2017

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Conséquence des conflits au Proche et Moyen-Orient et dans la corne de l’Afrique, l’Europe a fait face en 2015 à la plus grave crise migratoire de son histoire depuis 1945. Cette année-là, la Suisse a enregistré près de 40’000 demandes d’asile, un chiffre qu’elle n’avait pas connu depuis la crise du Kosovo en 1999. Genève comme tous les cantons a dû faire face à l’arrivée de nombreux migrants, y compris des jeunes mineurs seuls. Les institutions ont pu compter pour cela sur l’engagement indéfectible des centres de loisirs et maisons de quartier. Car pour les acteurs de l’animation socioculturelle, on « intègre » comme on respire. Zoom sur deux exemples de mobilisations hautement citoyennes.

Janvier 2016. Le Centre d’hébergement de l’Etoile ouvre ses portes pour accueillir quelques 200 mineurs non accompagnés (MNA). Mars 2017. Un groupe de jeunes mineurs érythréens montent spontanément sur scène, chantent et dansent devant un public de 200 personnes venues assister à la Grande fête de la diversité organisée par la Maison de quartier de Carouge dans le cadre de la Semaine contre le racisme. « C’était un moment très fort et de très grand partage comme nous en avons rarement vu dans des fêtes comme ça ».  L’émotion à fleur de peau que ces jeunes ont fait passer sur cette soirée est encore palpable dans le récit qu’en font Nicole Cosseron et Isabelle Mellos, respectivement responsable de l’animation et présidente de la Maison de quartier.

Février 2016. Un camp de ski rassemble huit ados du Centre de loisirs et de rencontre du Grand Saconnex. Parmi eux, deux frères viennent d’un foyer d’accueil. A cet âge-là, ce genre d’adresse vous colle aux basques. Le huis clos n’est pas toujours simple. Au repas soudain, la question fuse : « Expliquez-nous ce qui s’est passé ». Et, devant six paires d’yeux interloquées autant que captivées, les deux frères déroulent spontanément, en mots simples, le fil de leur histoire si jeune et déjà si complexe. « Tout cela est arrivé spontanément, dans une osmose parfaitement naturelle, sans aucune intervention adulte », racontent Raffaëlla Hürter, la présidente, et Luca Carozzini, animateur du centre, « Nous étions spectateurs d’un lien qui s’est fait. »

Camp de ski – CRL Grand-Saconnex

Moments de grâce

Loin des images pixelisées de foules qui s’échouent en longs rubans de route sur le continent européen, ces moments de grâce humanisent la réalité quotidienne des hommes, des femmes et des enfants arrivés à Genève après avoir fui leurs vies. Et donnent corps aux questions de l’accueil qui leur est fait et de leur intégration, ce processus si connoté.

Enfin, ces récits illustrent la manière dont les associations de centres ont choisi d’agir en réponse à la brutalité des situations et des parcours.

Que l’impulsion soit venue des équipes de professionnels, comme au Grand-Saconnex, ou des comités, comme à Carouge, la dynamique qui s’est installée dans les centres vise un même objectif : accueillir et créer du lien !

« Nous avons joué notre rôle de facilitateurs »

Au Grand Saconnex, les premières démarches remontent à 2014. L’équipe d’animation du centre prenait contact avec les travailleurs sociaux du Foyer des Tilleuls ainsi que l’éducateur aux migrations de la région. La volonté était d’intégrer, dans les animations existantes du centre, les enfants du foyer qui n’étaient pas systématiquement scolarisés avec ceux du quartier, et permettre à chacun de s’enrichir au contact de l’autre. Le bilan du premier centre aéré ouvert aux enfants migrants est positif. S’en sont suivis d’autres centres aérés et des camps de ski pour les adolescents et les pré-adolescents. A travers les jeunes, le centre espère aussi toucher les familles et amener celles qui en ont envie à participer aux activités du centre.

La Maison de quartier de Carouge s’est engagée dès l’ouverture du Foyer de mineurs non accompagnés de l’Etoile début 2016. Son comité s’est d’emblée senti concerné, a discuté avec les autorités communales et pris trois décisions : demander à l’équipe d’animation de rencontrer les dirigeants du foyer, ouvrir ses locaux aux initiatives et activités d’autres acteurs en faveur des MNA et réfléchir à la manière d’accueillir les jeunes dans ses animations courantes. Rapidement, la MQ a mis à disposition des salles pour les classes d’accueil. Pendant les moments de pause entre les cours, les jeunes jouaient au basket ou au baby-foot dans le centre. Des liens se sont ainsi créés avec les animateurs. « Nous avons joué notre rôle de facilitateurs », explique Isabelle Mellos. « Notre objectif était d’avancer en douceur pour instaurer la confiance. Nous ne voulions pas faire d’intégration de masse mais plutôt fournir des lieux accueillants pour que les jeunes se sentent bien et reviennent », précise Nicole Cosseron.

Grande fête de la diversité MQ de Carouge

Autour des MNA, un réseau d’acteurs socioculturels s’est aussi constitué à l’initiative de Claire Libois, alors étudiante à la HETS. Dans le cadre de son stage de fin de formation, elle a organisé la première rencontre entre ces acteurs en décembre 2016 pour valoriser ce que chacun avait déjà mis en place à l’intention des mineurs et impulser ce réseau. Avec la MQ de Carouge, la MQ des Acacias et le CLR de Lancy-Marignac qui interviennent aussi auprès des MNA du canton, les associations de centres y étaient bien représentées.

« Du jour au lendemain, le lien peut se briser »

Ces démarches posent naturellement des défis, à commencer par la (mé)connaissance de la culture de l’autre, mais aussi des parcours traumatiques. Alors, il faut savoir observer, partager, analyser et beaucoup communiquer pour lever les malentendus et adapter les activités.

Luca Carrozzini évoque aussi le tournus dans les foyers d’accueil de familles comme les Tilleuls. « Un enjeu d’intégration que nous n’avions pas anticipé », dit-il. Les familles quittent parfois en quelques jours le foyer pour emménager dans un logement. Si les parents sont heureux d’enfin poser les valises et d’avoir plus de confort, pour les enfants qui ont fréquenté le centre de loisirs et se sont fait des amis au Grand Saconnex, le départ vers un autre quartier sonne aussi parfois comme une nouvelle rupture. L’équipe d’animation réfléchit à ces situations, notamment aux collaborations qui pourraient être mises en place avec les collègues des autres centres pour encourager les enfants à fréquenter le centre de leur nouveau quartier.

« Avec humilité »

Face aux remous du monde et leurs conséquences sur les mouvements migratoires à Genève, les centres d’animation socioculturelle font leur part. « Avec humilité », rappelle toutefois Nicole Cosseron, « car ce qu’on fait est parfois bien insignifiant par rapport à leur quotidien ».

Mais grâce à leur double ancrage associatif et local, les centres s’adaptent, agissent, et mobilisent dans les quartiers pour créer ou encourager les interstices de mixité sociale, culturelle, économique et générationnelle, et ouvrir des espaces propices à la rencontre entre tous les habitants. Le migrant prend un visage, les parcours de vie se racontent. De ces partages, chacun sort différent, enrichi. Au gré des liens qui se nouent ainsi, c’est bien un bout du chemin de l’intégration et de quartiers plus inclusifs qu’ils contribuent à paver.

Vers le complément “Pour la réhabilitation du mot intégration!

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